I. 37.

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- Et ça, c'était la version courte.

Elle l'avait observé durant tout son récit, l'avait détaillé, même, puisque son regard semblait bien incapable d'aller au-delà de la stricte périphérie de son être, et elle l'avait vu traverser une à une les diverses étapes le menant de la contraction la plus totale à une forme de détente. Il avait d'abord été rigide sur son fauteuil hors d'âge, le dos bien droit, ses grandes mains jointes entre ses cuisses ou bien contractées sur ses genoux, mâchoires serrées et front plissé, ses doigts allant et venant martyriser un menton mal rasé. Puis, après une lutte intérieure qui semblait acharnée, il s'était un peu affaissé dans le fauteuil, ses jambes s'étendant légèrement dans le mouvement. Et finalement, maintenant qu'elle avait tapé dans ses mains en entonnant un 'Voilà !' théâtral mettant fin au récit de ses exploits, elle notait qu'il avait rapproché encore plus son assise du lit en face de lui, et ses jambes s'étendaient à l'horizontal sur l'édredon vieillot qui recouvrait le matelas. C'était comme observer une bête sauvage se laisser apprivoiser, et combattre une à une les années de conditionnement pour se laisser aller à plus de simplicité.

- Dans la version longue, tu aurais eu droit au détail du repas choisi par mes soins. Et puisque j'ai mis un point d'honneur à commander tout ce qu'il y avait de plus cher sur la carte, crois-moi, ça aurait rajouté plusieurs chapitres à l'histoire.

Une ébauche de sourire, c'est ce qu'elle entrevit sur ses lèvres avant qu'il ne baisse la tête et ne se dérobe à son regard. Est-ce qu'il souriait de sa manière de présenter les choses, ou bien prenait-il plaisir de l'enfer qu'elle pouvait faire vivre à Pierre ? Qu'importe, puisque lorsqu'il releva le menton, et que son regard croisa le sien, elle perdit instantanément le fil de ses pensées.

- Donne-moi ton portable.

Un ordre, encore, toujours, mais tellement moins sec, tellement moins oppressant, comme si avec le temps il avait gagné en douceur sans pour autant se délester totalement de son autoritarisme d'origine. Sa main tendue désignait l'iPhone abandonné sur le matelas, au milieu du bordel de documents, et sa paume offerte ne laissait que peu de place à l'imagination. Ne cherchant pas à connaître le pourquoi du comment, elle avait appris à économiser ses questions, elle étira le bras pour lui offrir son bien, poussant même le vice jusqu'à lui fournir des informations sans qu'il n'ait à faire l'effort de les quémander.

- Dix-huit, onze.

C'était ce dont il avait besoin, non ? Devant son air surprit, elle douta un instant, s'apprêta à lui expliquer qu'il s'agissait du code personnel pour accéder aux différentes fonctionnalités, mais se ravisa en le voyant entrouvrir les lèvres.

- Dix-huit, onze pour dix-huit novembre ? 

- Oui, c'est ma date de naissance, et oui je sais, c'est débile, n'importe quel crétin pourrait facilement craquer mon code, mais...

- Quel âge as-tu ? La coupa-t-il sans ménagement.

- 24 ans, j'aurai 25 ans en novembre, mais... Pourquoi ? L'interrogea-t-elle à son tour, sourcils froncés et nez retroussé. 

- Pour rien. Souffla-t-il dans sa barbe, en s'appliquant à taper le fameux code. 

- Tu sais que ça commence a être sérieusement gonflant ton culte du secret ? Tu veux pas essayer autre chose que les réponses évasives, je sais pas, genre, des réponses pas évasives du tout, par exemple ?

- Non, pas pour l'instant, non. Répondit-il calmement, sans lever le nez de l'écran du portable.

- Est-ce qu'au moins je peux savoir ce que tu fabriques, là ?

nāphîlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant