II. 29.

6 2 0
                                    


Le vacarme avait cessé, les cris, les rires, les discussions incessantes, un calme olympien régnait sur cette pièce, qui quelques minutes auparavant, s'apparentait encore à une rame de métro à l'heure de pointe. Même elle, allégorie du mouvement perpétuel, arborait un visage aux traits plus détendus.

- Alors, c'est à ça que ressemble un petit-déjeuner chez les Beynac ? Demanda-t-il afin qu'elle s'intéresse à nouveau à lui.

Il en avait besoin, il ne se l'expliquait pas, mais chaque fois que son regard se posait sur lui, c'était comme une forme de raison d'être. Elle était la seule à le voir, à le voir réellement et non simplement à effleurer les apparences et se contenter des contours. Elle ne semblait même pas fournir le moindre effort, elle le faisait naturellement, allumant la lumière chaque fois que ses yeux se portaient dans sa direction, et l'en privant, tout aussi efficacement, chaque fois qu'elle s'en détournait. C'était le plus ridicule de tout ça, mais c'était absolument son sentiment, n'être pleinement vivant qu'en existant dans son regard. Stupide et pathétique. Extrêmement frustrant, également.

- Est-ce tout le temps ainsi ?

- Non, heureusement. D'ordinaire mon oncle et Simon sont bien plus matinaux. Lui répondit-elle en dépiautant un croissant dans son assiette, jouant avec sans pour autant le manger. Et mon père ne descend pas. En général, c'est juste Tic et Tac et moi, seuls contre tous.

Si la fin de son discours se voulait enjouée, il ne se laissait pas berner pour autant. La simple évocation de son père avait engendré une sorte d'inquiétude qui teintait tout le reste et jetait un voile sur ces deux émeraudes qu'elle lui refusait toujours. Pourquoi s'obstinait-elle à fixer ce foutu croissant ?

- C'était pas un piège ! Affirma-t-elle brusquement en se méprenant sur le sens de sa question. J'imaginais qu'il n'y aurait que Pâris et Benji, pas du tout qu'on aurait le droit au défilé complet.

Il ne pouvait pas lui reprocher son manque de discernement puisqu'il n'était pas vraiment du genre à se soucier des autres, encore moins à les interroger sur leur mode de vie. Pourtant, pour elle, il faisait une exception depuis la toute première seconde, depuis qu'il l'avait croisé dans ce salon médiéval, cernée par les meubles drapés et la poussière. À partir de cet instant il n'avait eu de cesse de tout savoir, de tout apprendre la concernant, au point d'aller jusqu'à se renseigner sur elle.

- Ils vivent avec vous ?

- Dans le bâtiment juste derrière. À l'origine c'était un seul et même hôtel particulier acheté par je ne sais plus quel ancêtre à prénom ridicule, et puis ça a été, au fur et à mesure, divisé entre ses enfants, puis les enfants des enfants, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne nous reste plus que cette partie, et celle de Louis.

- Louis ?

- Mon oncle. Du coup, bien que les bâtiments ne communiquent plus entre eux, ils ne sont qu'à trois minutes d'ici.

Satisfait, il hocha la tête, sa tasse aux lèvres. Il patienta encore une petite minute dans ce silence qu'il jugeait lui-même pesant, puis, n'y tenant plus, reposa sa tasse bruyamment.

- Faut que je te parle. Reprit-il, fidèle à ce même mantra qu'il répétait depuis la veille au soir. 

- Pas encore.

- Quand alors ? Sérieusement, Astrée, combien de temps tu espères me trimbaler comme ça ? 

- Tu es libre de t'en aller, si tu le souhaites.

Le ton employé était neutre, mais son regard fuyant était tout sauf détaché.

- Pas avant de t'avoir parlé.

nāphîlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant