nāphîl

I. 59.

La lueur d'un soleil à l'agonie filtrait par les persiennes ancestrales. Il n'y avait pas réellement matière à se protéger des rayons directs du soleil, la fournaise de la mi-journée étant tombée depuis longtemps, mais Astrée avait ce truc un peu spécial, cette drôle de préoccupation qui l'obligeait, bien souvent, à subir la suffocation chaque nuit d'été. Elle craignait toute forme de voyeurisme et/ou d'intrusion. Peur irrationnelle s'il en est, elle ne pouvait dormir sans un drap recouvrant son corps, tout comme elle ne parvenait à se détendre dans une pièce dont les fenêtres n'auraient pas été occultées. Les nuits d'été, si elle voulait pouvoir trouver le sommeil malgré la fenêtre ouverte, elle se devait de clore les volets, quand bien même elle se trouvait au troisième étage d'un immeuble sans vis-à-vis. Alors avant toute chose, son premier geste en entrant dans la petite pièce avait été de baisser les persiennes qui laissaient passer les bruits d'un extérieur animé, mais la protégeait d'un éventuel Spiderman très motivé, et la mousse l'encerclant de toutes parts, elle parvenait, désormais, à profiter de cette paix si méritée. 

Les pointes de ses trop longs cheveux dansaient autour d'elle, venant chahuter une peau laiteuse dont l'eau ne faisait que renforcer la blancheur. Le silence régnait en maître, uniquement rompu par le clapotis que chaque infime mouvement provoquait sur la faïence de la vieille baignoire à pieds de lion. Les yeux clos, la tête penchée en arrière, elle savourait cette solitude, cet isolement inespéré, cet instant où livrée à elle-même elle pouvait s'attarder sur ses pensées, éjecter celles qu'elle ne souhaitait pas traiter, et s'attarder sur celles qui... Oula ! Non, pas celle-là... Le bas-ventre la picotant, elle préféra noyer son esprit en même temps que son corps, se laissant encercler par cette eau savonneuse tandis qu'elle s'enfonçait jusqu'aux tréfonds de la baignoire. Joues gonflées et yeux grands ouverts, elle fixa le plafond jusqu'à ce que les boiseries fussent remplacées par les traits ondulants et l'expression curieuse d'un frère qui n'avait pas lieu de se trouver là. Croyant à une hallucination, elle décida de l'ignorer, jusqu'à ce que l'écho de sa voix s'insinue dans son cocon paisible.

- Il n'y a rien à voir Jacques, c'est noir et froid rien d'autre ! Y'a personne. Et moi je suis là, je suis vivante, et j'existe ! Explosait-il de cette voix rendue sourde par son immersion, tout en s'excitant, ses deux grandes mains sur le rebord de la baignoire, plagiant une Rosanna Arquette au sommet de sa gloire.

Surprise, effrayée, indignée puis furieuse, elle explosa en gerbes d'eau alors qu'elle refaisait surface.

- T'es malade ?! Commença-t-elle, hors d'elle, avant d'interrompre immédiatement sa tirade en percevant les deux autres individus arpentant tranquillement la petite pièce.

L'un se recoiffait dans le miroir au-dessus du lavabo, tandis que l'autre s'intéressait aux flacons de parfum, sur l'étagère, ôtant les bouchons pour mieux en humer l'élixir.

- Non, mais allez-y, faites comme si je n'étais pas entièrement nue là-dessous ! Cracha-t-elle, les joues rouge carmin, tout en tentant de ramener un maximum de mousse sur les zones les plus délicates de son anatomie. 

- Je venais juste vérifier que tu respirais toujours... Commença Pâris.... 

- Et moi, tu me manquais trop. Acheva Benjamin.

Et alors que son regard furieux était passé de l'un à l'autre sans s'adoucir, il se teinta d'interrogation en atteignant un Pierre enfin habillé, contrairement à elle.

- Moi ? Demanda-t-il en surprenant les regards convergents sur lui. Non, moi je n'ai fait que les suivre.

- Que la notion d'intimité les dépasse, eux, je veux bien, ils ne m'ont jamais considéré comme un individu à part entière... S'entendit-elle lui rétorquer en faisant l'effort de conserver un semblant de calme. Mais toi, Pierre, ta mère t'a jamais appris la correction ? Et puis merde, t'as pas une maison à toi ? Qu'est-ce que tu fabriques encore là ?!