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NOAM

Dire que je m'ennuyais ferme à l'hôpital était un bel euphémisme. Je zappais sur le petit écran depuis des heures de chaîne en chaîne mais il n'y avait aucun film susceptible de me distraire, seulement des émissions idiotes.

Dépité, j'éteignis le téléviseur et remis la télécommande à sa place dans le tiroir de la table de chevet où se trouvait également mon petit carnet de croquis. N'ayant rien d'autre à faire de mieux, je le feuilletai pour la énième fois.

Pour l'essentiel, il s'agissait de dessins architecturaux de ma ville natale : New York. La Statue de la Liberté, l'Empire State Building, Central Park vu du ciel... Nostalgique, je soupirai en repensant à mes dernières vacances. Dessiner des monuments s'avérait beaucoup plus facile qu'esquisser un visage.

Achillia...

Une fois de plus, mon esprit dériva. Cela ne faisait pas trois jours que j'étais hospitalisé et je me languissais déjà d'elle. Elle prenait tant de place dans ma tête ! J'étais malheureusement trop intimidé pour lui dire autre chose que des bonjours maladroits. Depuis le début de l'année, je me contentais de l'observer de loin si bien que j'avais l'impression de la connaître mieux que moi-même. Ses habitudes, ses goûts, ses centres d'intérêt... Il m'arrivait souvent de rêver que je lui déclarais mes sentiments et que nous nous évadions loin de Corm.

Moi, romantique ? Absolument pas.

Un oiseau passa près de la fenêtre, attirant mon attention. Qu'il en avait de la chance ! Ma chambre donnait vue sur un petit parc à l'abandon près de l'hôpital. Des bancs en bois entouraient une aire de jeux avec balançoire, toboggan et cheval à bascule et des arbres nus encerclaient le tout. Ce parc aurait plu à Achillia, j'en étais certain. Je l'imaginais parfaitement assise sur la balançoire, se laissant bercer doucement.

On frappa à la porte, interrompant mes rêveries.

- Entrez.

Ma mère entra, Adrien sur les talons. Mon petit frère fronçait les sourcils tout en évitant soigneusement mon regard.

- Bonjour, les accueillis-je.

Elle déposa sur mon lit un sac en toile débordant de vêtements.

- Voici quelques affaires de rechange. J'ai pensé que cela te ferait plaisir, sourit-elle.

Je pris une chemise en soie à manche courte pour en humer l'odeur. Lessive, lavande, menthe... Elle sentait la maison.

- Merci, maman.

Adrien était toujours concentré sur ses baskets.

- Tu as besoin d'autre chose, mon fils ?

- Euh... oui. J'aimerais des... recueils de poèmes. D'auteurs japonais.

Elle arqua les sourcils.

- Voilà une demande très précise...

Adrien, aussi surpris que ma mère, me dévisagea en essayant vainement de comprendre ce qui me passait par la tête.

- D'accord, mon cœur.

Elle regarda Adrien qui lui fit signe de partir.

- Je te rejoins à la voiture.

Je le regardai, à la fois fier de lui et envieux. Adrien était une version améliorée de moi-même. Bien qu'il n'ait que 15 ans, il dépassait déjà mon mètre quatre-vingts et avec tous ses muscles, il avait un succès fou auprès des filles.

- Noam, à quoi tu joues ?

Je haussai les sourcils, interloqué. Adrien croisa les bras sur son torse.

- Je sais tout, Noam. Pourquoi tu ne dis rien ? Si tu ne réagis pas, Louis recommencera, tu sais.

- Adrien, s'il te plaît. Ce sont mes affaires.

- Comment peux-tu accepter de jouer au martyr ?

Ne sachant quoi répondre, je gardai le silence.

- La fille que tu as défendue lundi, je l'ai observée. Elle encaisse les insultes et elle se tait. Pourquoi, je l'ignore. Elle doit aimer se faire persécuter.

- Achillia ne veut pas attirer l'attention, c'est tout.

- On ne sort pas avec un type du quartier nord quand on ne veut pas attirer l'attention.

Je pinçai les lèvres, touché en plein cœur.

- Vous devriez apprendre à vous défendre tous les deux, continua mon frère, impitoyable.

- J'en ai bien l'intention, murmurai-je tout bas.

Puis, j'ajoutai à haute voix :

- Je m'occuperai de Louis en temps voulu. En ce qui concerne Achillia, je ne regrette pas ce que j'ai fait. Je crois même avoir gagné son estime.

Adrien leva les yeux au ciel.

- C'est bien connu, le meilleur moyen de séduire une fille c'est de se faire casser la gueule sous ses yeux ! ironisa-t-il.

Vexé, je ne trouvai rien à répondre.

- Et sinon... C'est quoi cette histoire de poèmes ? Tu veux lui faire une déclaration ?

Je rougis jusqu'à la racine des cheveux devant son air impassible. Mon frère ignorait le romantisme.

- Je veux seulement qu'on soit amis..., prétendis-je en haussant les épaules pour feindre l'indifférence.

Guère convaincu par ma tirade, Adrien secoua la tête mais ne répondit rien.

- J'y vais, Maman doit m'attendre. Je repasserai te voir vendredi.

- D'accord.

***

Nul. Nul. Nul.

C'était le trentième feuillet de mon carnet de croquis que je roulai en boule et lançai dans la corbeille près de la porte. Elle débordait.

Si seulement je pouvais avoir un crayon magique...

Ecrire un poème était bien plus dur qu'il n'y paraissait. Les mots pouvant décrire avec justesse ce que je ressentais pour Achillia étaient inexistants et j'étais parfaitement incapable de faire rimer quoi que ce soit.

J'inspirai profondément. Les idées me viendraient peut-être après quelques heures de sommeil ?

En voulant reposer mon carnet de croquis sur la table de chevet, je fis tomber deux recueils de poèmes de Kenji Miyazawa et Hoshi Sosei que ma mère m'avait apportés.

Je réprimai un juron, me penchai pour les ramasser et... stoppai net mon geste lorsque qu'une ampoule - imaginaire - se mit à clignoter au-dessus de ma tête. Je venais d'avoir une révélation. Non, plutôt un déclic. Je pouvais très bien garder ma véritable identité secrète pour le moment et écrire à Achillia sous un autre nom. Un pseudonyme original et unique.

Crayon et carnet de nouveau en main, je me mis à griffonner les noms des deux poètes japonais.

Kenji Miyazawa.

Hoshi Sosei.

Ken... sei.

Kensei !

Je répétai ce nom japonais à voix haute. Assurément, c'était la classe !

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant