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NOAM

Achillia ferma les yeux et ne me vis pas bondir sur elle pour la protéger. Jusqu'à cet instant, je ne me serai jamais cru capable de prendre une balle pour qui que ce soit. Je l'entourai dans mes bras comme un bouclier humain et son parfum fleuri nous enveloppa alors tous les deux.

Je ne sentis pas l'impact de la balle dans mon dos et lorsqu'elle se détacha de moi en clignant des yeux, je compris à son regard surpris que nous n'étions plus au lycée.

- C'est mon quartier ! s'exclama Achillia en ouvrant de grands yeux. Pourquoi tu nous as amenés ici, Noam ?

- Je ne sais pas, répondis-je, penaud.

Je jetai un coup d'œil à ma montre.

- Il est à peine huit heures, le bac blanc est dans une heure. Nous avons encore le temps de rejoindre le lycée et d'empêcher Philip de prendre sa classe en otage.

- Et si cette maison... ?

Achillia ne termina pas sa phrase. Elle regardait la maison sur le trottoir d'en face avec insistance. Elle était recouverte de lierres avec des planches en bois taguées clouées aux fenêtres. La petite clôture grillagée qui l'entourait semblait avoir beaucoup souffert à cause de la rouille et l'ampoule dénudée sur le seuil de la porte crépitait.

Je ne pus réprimer un frisson.

- Cette baraque ferait peur à un fantôme, dis-je.

Achillia ne répondit rien mais traversa la rue.

- Noam, tu viens ?

Je m'exécutai à contrecœur.

- Il n'y a pas de noms sur la boîte aux lettres, remarquai-je.

- J'ai une intuition, avoua Achillia.

Et, sans un mot de plus, elle sauta par-dessus la clôture et s'approcha de l'une des fenêtres de la façade.

- Regarde ! chuchota-t-elle en me faisant signe d'approcher.

Par les fins interstices entre les planches, nous pouvions voir une étroite cuisine. Quelqu'un faisait la vaisselle, l'évier débordait. A en juger par ses deux longues tresses, il s'agissait d'une jeune femme. Il n'y avait pas d'électricité, seules quelques bougies éclairaient la pièce. Sur un petit placard reposait un cadre juste au-dessus d'une gazinière et quelqu'un était assis à une petite table ronde. Les deux individus étant de dos, nous ne pouvions savoir s'il s'agissait bien de Philip et de sa sœur. Je tendis l'oreille.

- ...prie... ne fais pas ça...

- Notre père doit payer pour le mal qu'il a fait. Pas seulement à toi mais aussi aux autres !

- Phil... n'implique pas des innocents là-dedans, s'il te plaît...

Elle se tourna lentement et s'assit à table. Une mèche recouvrait son œil gauche. Je jetai un coup d'œil en biais à Achillia qui hocha la tête imperceptiblement.

La jeune femme posa sa main sur celle de Philip.

- Nous trouverons un autre moyen. Je suis en sécurité ici, Père ne me fera plus de mal...

- Tout le monde croit que je t'ai kidnappé ! Il est temps que le monde sache la vérité !

Elle sourit tristement.

- Pas de cette façon.

- Béa, ne cherche pas à me faire changer d'avis.

Il se leva, probablement pour se préparer à aller au lycée. Le moment était venu d'intervenir.

- Je vais aller frapper à la porte, annonça alors mon amie, déterminée.

- Donne-moi ta main. S'il part en vrille, je serai prêt à nous téléporter.

Achillia acquiesça et glissa sa main dans la mienne. Je fis semblant d'ignorer la sensation de milliards de fourmis qui parcouraient mes doigts à son contact.

- Allons-y.

Lorsqu'Achillia frappa à la porte, je vis à travers la fenêtre Philip porter sa main à l'arme qu'il avait à la ceinture et la cacher dans son dos.

La dénommer Béa haussa les sourcils, surprise.

- Qui peut bien savoir où nous nous cachons ? demanda-t-elle à Philip depuis la cuisine.

Il lui fit signe de se taire et regarda par le judas. Il tourna le verrou et ouvrit.

- Vous êtes de mon lycée, vous. Qu'est-ce que vous faites là ?

Achillia pencha la tête pour le saluer.

- Bonjour, Philip. Je m'appelle Achillia Tanaka et voici Noam Chance. Nous sommes là pour t'aider.

- Noam Chance ? Le fils de Cordel ?

- En effet, répondis-je. Nous pouvons entrer ?

Béa s'approcha timidement.

- Phil, qui sont ces gens ?

- Nous venons empêcher Philip de commettre une erreur, affirma Achillia.

- Comment savez-vous que... ?

Philip tira l'arme de sa ceinture et la pointa vers moi.

- C'est louche tout ça. C'est mon père qui vous envoie ?

- Philip, poursuivis-je sans me laisser impressionner, il faut que tu nous écoutes, que tu nous parles. Nous allons trouver un moyen de faire tomber ton père, mais il faut tout nous dire. S'il te plaît, range cette arme.

Il ne bougea pas d'un pouce.

- Qui me dit que je peux te faire confiance ?

- Le message que tu as laissé sur le répondeur et qui s'adressait à mon père. Tu voulais le prévenir qu'on allait tenter de le tuer, n'est-ce pas ? C'est pour cela que tu voulais le voir au plus vite. Tu n'es pas un kidnappeur et encore moins un meurtrier, Philip.

L'intéressé baissa son arme. Béa lui serra la main. Ils avaient la même taille, la même morphologie, les mêmes cheveux blonds aux pointes noires, comme les faux jumeaux.

Ils nous invitèrent à nous asseoir par terre dans le salon. La pièce vide, raisonnait à chacune de nos paroles. Il y avait bien deux ou trois cartons par-ci par-là mais rien n'avait été déballé.

- Ton père avait découvert les manigances du mien. Il était sur le point de tout dire à la police alors mon père a payé quelqu'un du quartier pour l'éliminer.

Noam acquiesça.

- Heureusement, mon père est solide.

- Il ne fait pas très chaud. Quelqu'un veut un thé pour se réchauffer ? intervint la sœur de Philip pour rompre l'atmosphère pesante.

Son attitude maternelle et chaleureuse me rappelait ma propre mère.

- Volontiers, répondit mon amie. Je vais te donner un coup de main.

- Les garçons ?

Philip hocha la tête et j'opinai également.

- Donc. Raconte-moi tout, depuis le début.


Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant