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NOAM

- Noam, dis-lui la vérité.

Je jouais à un jeu de combat sur ma PSP. Un vrai défi avec mon bras en écharpe...

- Quoi ?! hoquetai-je, avec un temps de retard.

- Achillia. Dis-lui qui tu es vraiment.

- Ad, on en a déjà discuté...

- Ne la sous-estime pas, Noam.

Je retournai à mon jeu. Adrien s'inquiétait inutilement.

- J'ai été vigilant quand j'ai déposé ton deuxième poème sur le rebord de sa fenêtre. N'empêche, quand elle est passée me voir tout à l'heure, j'ai flippé. J'ai cru qu'elle avait tout découvert.

Je relevai les yeux de ma console.

- Elle est passée te voir ? Pourquoi ?

Il a ouvert le paquet qu'il avait dans les mains et m'a tendu des mangas.

- Elle n'aurait pas dû, ai-je murmuré, le sourire aux lèvres.

- A mon avis, tu as toutes tes chances avec elle. Tu n'as pas besoin d'être Kensei.

Balayant la remarque de mon frère du revers de la main, je feuilletai distraitement les pages lorsqu'un bout de papier attira mon regard.

« J'espère que ton séjour à l'hôpital ne durera pas.

Voici un peu de lecture pour te distraire en attendant.

Bon rétablissement. »

Je restai silencieux un moment. Une légère odeur de pâtes de fruit flottait sur le papier. Dans mon cœur, c'était le 14 juillet, un feu d'artifice sans commune mesure. Je le repliai soigneusement. Devant mon absence de réaction et de commentaire, Adrien s'agita sur le tabouret où il était assis.

- Alors, que dit-elle ?

J'éclatai de rire.

- Elle dit bien plus que je ne l'espérais.

- C'est vague comme réponse, marmonna mon petit frère en regardant ailleurs.

- Tu peux lire, si tu veux, m'esclaffai-je.

Pendant qu'il jetait un bref coup d'œil au mot, je regardai du côté du parc, désert comme d'habitude. Le temps commençait à s'assombrir tandis que je formulai dans ma tête le troisième poème que j'allai écrire à Achillia.

En me retournant vers Adrien, je constatai qu'il avait posé mon petit papier sur ma pile grossissante de livres.

- Tu ne fais pas de commentaire ?

- Tu veux vraiment que j'en fasse un ? rétorqua-t-il sur le ton du sarcasme.

Je m'esclaffai une fois de plus.

- Non merci, petit frère. Sinon, repris-je, comment ça va avec ta blonde ?

- Elle m'a laissé.

- Désolé, Ad.

- Pas grave. Elle était trop superficielle. J'aime la substance chez les gens.

Plus les heures s'écoulaient et plus le besoin de m'évader se faisait pressant. J'en avais assez d'étouffer dans cette petite chambre. Assez de mon hideuse chemise d'hôpital. Assez d'avoir la sensation d'être un apprenti cadavre. Cela me terrifiait, me révulsait. Je passais donc la majeure partie de mon temps à m'imaginer des histoires, des conversations fictives avec Achillia. Le plus dur s'avérait être l'impitoyable retour à la réalité. J'étais coincé entre quatre murs.

Dans un état second, j'entrepris d'éventrer l'oreiller sous ma tête. Je serrai une extrémité entre mes dents et tirai de toutes mes forces avec mon bras valide. Le bruit du tissu en train de se déchirer me fit beaucoup de bien. Je pris ensuite les plumes et les jetaient à travers la pièce, parfaitement conscient de l'idiotie de mon geste. Je finis par reposer ma tête sur les restes de l'oreiller, le cœur un peu plus léger, les mains croisées sous la nuque. J'enrageai de voir qu'il faisait un temps magnifique dehors et que je ne pouvais en profiter. Je m'étais depuis longtemps lassé de ma console de jeux et lire ou regarder des films ne suffisaient plus à me distraire. Je voulais retrouver Achillia et l'observer en secret comme j'en avais pris l'habitude depuis quelques mois.

Une infirmière entra. Je ne l'avais pas entendu frapper. Elle poussait un petit chariot sur lequel m'attendait un repas sans goût. Son visage m'était inconnu et elle paraissait à peine plus âgée que moi

- Bonjour, Noam. Comment te sens-tu aujourd'hui ?

- Où est votre badge ?

Elle m'offrit un sourire énigmatique. Sa ressemblance avec la Fée Clochette était étonnante.

- Je l'ai oublié dans mon vestiaire. Comment vas-tu ?

- Pas terrible.

Second sourire à la Mona Lisa.

- Garde le moral, jeune homme. Tout fini toujours par s'arranger, affirma-t-elle en faisant cracher sa piqûre en l'air.

- C'est vous qui le dites...

- Allons...

Je fermai les yeux pour ne pas voir la seringue percer ma peau. Une demi-heure plus tard, mes paupières fermaient boutique. Tout mon corps était anesthésié. Ma tête, elle, semblait sur le point de partir en flammes. Ma dernière pensée avant de sombrer fut pour Achillia. Evidemment.

Parmi les nombreux rêves que j'ai fait durant ma courte existence, celui-ci méritait sans nul doute la palme d'or de l'étrange. J'avais l'impression d'être aussi petit et fragile qu'un nourrisson. Je flottais dans l'obscurité. J'essayais de remuer les doigts et les orteils mais je ne sentais plus rien hormis le liquide dans lequel je baignais. Soudain, quelque chose tenta de me tirer vers le fond. Persuadé que j'allais me noyer je me débattais comme un diable, de toutes mes forces.

J'ouvris les yeux d'un seul coup.

Je me trouvai toujours dans ce cimetière vivant et le crépuscule s'annonçait. La douleur avait disparu, je me sentais bien. Vraiment bien. C'était comme une renaissance. Cela tenait du miracle. Une force nouvelle imprégnait mon corps, que je ne pouvais expliquer. Adrien n'allait plus tarder.

Il entra dans la chambre au même instant, parfaitement synchronisé à mes pensées. Il arborait le même air blasé que d'habitude et alla se placer devant la fenêtre sans rien dire. Pas très engageant le petit frère... J'hésitai une seconde, puis me lançai :

- Adrien ?

- Oui ?

- Je crois que je suis en train de devenir Kensei.

Il fit volte-face et me dévisagea comme si je venais de lui annoncer que j'avais réussi à décrocher la lune.

- Je crois bien que tu es en train de devenir fou.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant