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NOAM

Le cœur battant, je franchis les grilles du lycée. Mon professeur principal serait-il assez magnanime pour fermer les yeux sur mes vingt minutes de retard ?

Je traversai les couloirs déserts au pas de course pour rejoindre ma classe... et tombai sur Achillia qui avait l'oreille collée contre la porte de la salle.

Elle sursauta.

- No... Noam ! balbutia-t-elle, les yeux ronds comme des soucoupes.

Un sourire béat étira mes lèvres tandis que mon cœur faisait des bonds de cabri dans ma poitrine. Une seconde s'écoula. Puis, deux. Et une troisième. J'étais si heureux de la voir en chair et en os ! Sa beauté était encore plus saisissante que dans mon souvenir. Malheureusement, la vision de ses lèvres mordillant celles d'Augustin vint se superposer à la réalité. Mon sourire s'effaça.

Elle désigna la porte du pouce.

- Il n'y a personne.

- Dans ce cas, allons au C.D.I, proposai-je dans un haussement d'épaules.

Je tournai les talons et elle me suivit timidement. Je l'observai du coin de l'œil, ne sachant quoi dire pour meubler le silence.

- Comment vas-tu, Achillia ?

- Bien, couina-t-elle en rougissant. Et toi ?

- Idem.

Je lui tins galamment la porte du C.D.I et elle alla s'asseoir près de la fenêtre comme elle le faisait depuis le début de l'année scolaire. Je m'assis face à elle. Gênée, elle osait à peine me regarder. Finalement, après un moment de flottement, elle demanda :

- Comment c'était à l'hôpital ?

- Mortellement ennuyeux. A ce propos, merci pour les cours. Je n'aurais pas pu tout rattraper sans toi.

Elle haussa les épaules mais ses yeux s'embuèrent de larmes.

- Si tu n'étais pas intervenu ce jour-là, Louis...

Je posai ma main sur la sienne et elle s'interrompit. Ses doigts étaient glacés sous ma paume.

- N'y pense plus, Achillia. Je suis fier de t'avoir défendu.

Ces mots semblèrent l'apaiser et elle se détendit quelque peu. Jamais je n'aurais imaginé avoir cette conversation avec elle. En tête-à-tête, dans un endroit tranquille... Je me repris avant que mes pensées ne dérivent.

- Je suis contente que tu sois de retour, Noam. Tu as guéri si vite, c'est presque... miraculeux.

Je hochai la tête.

- C'est le mot juste. Je suis comme neuf et les médecins eux-mêmes ne peuvent l'expliquer. Ils m'ont laissé partir après avoir effectué une dizaine d'examens non-concluants.

Je ponctuai mes paroles d'un soupir de soulagement, bien content de ne plus être enfermé entre quatre murs et traité en rat de laboratoire.

Achillia acquiesça et sourit tristement.

- Les frères Chance n'ont pas tellement de... chance quand je suis dans les parages.

Je haussai les sourcils, étonné.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Tu as été hospitalisé par ma faute et je suis aussi responsable de l'entorse d'Adrien, alors...

Je balayai sa remarque du revers de la main.

- Crois-moi, même s'il traine la patte, Ad est soulagé d'être dispensé de sport. Grâce à toi, il termine plus tôt le lundi après-midi.

- A sa place, je serais démoralisée. J'aime tant courir ! Il n'y a que lorsque je cours que je me sens libre. Je peux me défouler et repousser mes limites. Parfois, j'ai même l'impression de voler...

- Moi, la seule raison qui me pousserait à repousser mes limites à la course, serait d'être poursuivi par un tyrannosaure comme dans Jurassic Park.

Elle éclata de rire et je sentis mon cœur bondir joyeusement dans ma poitrine.

Trop tôt à mon goût, la sonnerie annonçant l'interclasse retentit. Nous avions très exactement trois minutes pour nous rendre en cours d'anglais.

- J'ai hâte de voir la tête de Louis et des autres quand ils vont me voir, dis-je tandis que nous descendions les escaliers.

Achillia avait deux marches d'avance sur moi.

- Tu vas recommencer à les fréquenter malgré ce qu'ils t'ont fait ?

Je secouai la tête.

- Non. J'ai compris la leçon. Mieux vaut être seul que mal accompagné.

- Bien dit !

Soudain, elle se retourna.

- Noam, je sais que tu es passé à la maison vendredi matin. Ma situation est un peu compliquée mais je veux que tu saches qu'il n'y a strictement rien entre moi et Augustin. Je ne peux pas t'expliquer mais...

- Achillia ?

Comme par magie, son ex petit-ami s'était matérialisé au bas de l'escalier. Son air menaçant ne présageait rien de bon.

- Va en cours, Noam. Je te rejoins, me pressa-t-elle.

Je fronçai les sourcils.

- Tu en es sûre ?

- Oui, oui, ne t'en fais pas !

La pointe d'inquiétude dans sa voix ne me rassura pas mais je choisis de lui faire confiance. Après un dernier regard dans sa direction, je contournai Augustin. Son sourire méprisant ne me fit ni chaud ni froid.

Rongé par l'anxiété, j'attendais désespérément l'arrivée d'Achillia. Je regrettais d'avoir été assez stupide pour la laisser seule avec Augustin alors qu'il était sans doute son principal souci. Qu'avait-elle voulu dire par « situation un peu compliquée » ? Pourquoi s'obligeait-elle à rester si proche de lui si elle ne l'appréciait pas ?

Pour ne rien arranger, mon retour n'avait pas vraiment fait l'unanimité auprès de mes camarades qui nous surnommaient respectivement « le galeux et la gothique ». Leurs regards dédaigneux m'oppressaient, la salle paraissait rétrécir de minute en minute.

La sonnerie fut une délivrance et je bondis hors de la classe sans même noter mes devoirs pour le lendemain. Il fallait que je retrouve Achillia. Première arrêt : Le Cénacle. Je frappai à la porte à m'en faire mal aux phalanges. Il n'y avait personne.

Seconde option : le C.D.I.

- Navré, jeune homme, je ne l'ai pas vu !

Je remerciai la documentaliste et m'éclipsai sur la pointe des pieds pour respecter le silence des lieux.

- Hé, Noam !

Je tournai en rond dans la cour lorsqu'Adrien est venu me trouver.

- Je sais où est Achillia.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant