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ACHILLIA

J'avais un très mauvais pressentiment. Très très mauvais. Pas à propos de Noam et de l'affaire Chevalier comme je l'appelais. A propos de Priam.

Après le déjeuner, j'ai fait part à Noam de mon nouveau plan pendant que mon frère jouait à la console dans le salon.

- Je vais devoir faire QUOI ? s'exclama-t-il, les yeux ronds.

Je souris pour le rassurer.

- Pas si fort, Priam pourrait t'entendre ! Ce sera facile pour toi ! Léopold Chevalier travaille dans un laboratoire pharmaceutique à la sortie de la ville... officiellement. Introduis-toi dans les locaux et essaye de trouver des indices, des noms, quelque chose susceptible de nous mener à celui qui a tiré sur ton père.

Soucieux, il secoua la tête.

- Je ne crois pas être capable de faire ça. Pas tout seul. Imagine que quelqu'un me repère pendant que je suis occupé et prévienne Léopold Che...

- Tout se passera bien, le coupai-je un peu trop sèchement.

Je lui pris la main et ajoutai d'une voix plus douce :

- Si tu sens que quelque chose cloche, reviens ici, immédiatement.

- Entendu, répondit Noam, les yeux baissés sur ma main.

Il sourit tendrement et s'éclipsa.

Discrètement, je me faufilai dans la chambre de mon frère en espérant que mon intuition soit fausse.

J'explorai chaque recoin, dessous de lit, dessus d'armoire, fonds de tiroirs... tout ce qui pouvait dissimuler une enveloppe. Sans succès.

Je m'assis sur le bord du lit et réfléchis à toute vitesse. Dans le salon, j'entendais Priam crier des « Yes ! » par intermittences à chaque victoire. Qu'avait-il bien pu faire de cette fameuse enveloppe Kraft qui contenait ses soi-disant bulletins ?

L'étagère fixée au mur près de la porte semblait sur le point de s'écrouler. Pourtant il n'y avait rien ou presque dessus. Quelques Alex Rider, Eragon, Percy Jackson, Carrie...

Je haussai les épaules. Vu la poussière qu'il y avait sur tous ces livres, ils n'avaient pas dû bouger de là depuis très longtemps.

Je me levai pour passer un bref coup de chiffon sur l'étagère et trébuchai sur le petit tapis rond bleu pâle qui dépassait de sous le bureau.

- Tiens donc ?

Je fronçai les sourcils et pris l'enveloppe Kraft format A4 collée en-dessous du bureau avec du ruban adhésif aux quatre coins. Mon cœur s'emballa. Mon frère était quelqu'un de bien j'en étais certaine. Il n'avait sûrement rien à voir avec toute cette histoire. Je devenais paranoïaque.

Alors, pourquoi mes doigts tremblaient autant à l'idée d'ouvrir l'enveloppe ? Que ferai-je si je découvrais autre chose que ses vieux bulletins ?

N'y tenant plus, je l'ouvris.

- Non... non...

Lorsque je me rendis au salon une minute plus tard, mes joues étaient striées de larmes. Priam m'entendit arriver.

- Ach, j'ai besoin de ton aide, tu peux...

Tournant la tête, il laissa tomber la manette qu'il avait à la main.

- Où as-tu trouvé ça ?! gronda-t-il.

Sautant par-dessus le canapé, il atterrit devant moi. Je reculai avant qu'il ne m'arrache l'enveloppe.

- Sur ton oreiller, mentis-je.

- Tu as fouillé dans mes affaires !

- Priam, dis-moi que tu n'as pas fait ça. Dis-moi que tu n'as pas tiré sur Cordel Chance.

- Il n'est pas mort à ce que je sache ! Rends-moi ce dossier !

- Non !

Dans un accès de fureur, Priam m'attrapa à la gorge et je ne trouvai pas la force de lui résister.

- Avec l'argent que j'ai gagné nous pourrons avoir une meilleure vie, Ach ! C'est pour nous que je l'ai fait !

Il me relâcha et je me laissai glisser au sol. Mes larmes ne pouvaient plus s'arrêter de couler.

- Tu as tenté de tuer le père de mon meilleur ami simplement pour que nous ayons une meilleure vie ? Tu te rends compte de ce que tu dis ?

Il donna un coup de pied au canapé, hors de lui. La manette et quelques coussins se retrouvèrent par terre.

- Le sang de deux meurtriers coule dans mes veines ! Tu as été naïve de croire que je pouvais être quelqu'un de bien.

- Tu n'es pas tes parents, Priam. Tu mérites mieux que d'être un... un... mercenaire.

Je ne pouvais me résoudre à dire tueur.

- J'ai été formé depuis l'âge de quatre ans pour tuer. Je ne sais rien faire d'autre.

- Tu peux apprendre. Depuis quand travailles-tu avec Léopold Chevalier ? Tous ces après-midi où tu as prétendu aller chez un copain, tu partais à la chasse à l'homme ? Combien de personnes as-tu tuées jusqu'à maintenant ?

- Tu veux vraiment le savoir ? demanda-t-il avec un rictus.

- Non, me ravisai-je. Demain tu vas aller rendre l'argent.

Frustrée, je tapai du poing par terre.

- Maintenant que j'ai tout découvert, ça fait de moi ta complice !

Je me retins à grand peine de décrocher le téléphone et d'appeler Noam pour tout lui avouer. Jasmine avait eu tort de dire qu'il y avait un traître dans son entourage. En fait, il y en avait deux. Priam et moi.

Avant de partir ma mère m'avait fait jurer de protéger mon petit frère quoi qu'il arrive. Que dirait-elle si je lui apprenais les sombres activités de son fils adoptif ?

Je me relevai.

- Le week-end prochain, nous irons voir Maman. Tu iras vivre avec elle pendant quelques temps.

- Tu me mets à la porte ?

- Non, je te mets en sécurité.

- Je ne peux pas rendre l'argent.

- Pourquoi ?!

- Ils me tiennent.

- Comment ?!

Il resta silencieux. Sur le moment, le gifler sembla être une excellente idée sauf qu'il bloqua mon bras en l'air.

Faute de mieux, je le repoussai et me réfugiai dans la cuisine où je me mis à dévorer tout ce qui me tombait sous la main. Brioche, gâteaux, bonbons... je m'empiffrai jusqu'à la nausée. Dans l'encadrement de la porte, Priam m'observait, le regard indéchiffrable.

- Tu vas te rendre malade.

Je lui jetai une brique de lait vide à la figure.

- C'est toi qui me rends malade !

Il essuya du revers de la main le lait qui lui avait giclé sur le visage et s'approcha, le regard dur.

- Je n'ai pas demandé que tes parents m'adoptent. Je n'ai pas tué ton père et j'y suis pour rien si ta mère nous a abandonnés. Je n'ai pas demandé à avoir du sang de meurtrier dans les veines. Les chiens ne font pas des chats, c'est tout. Je te suis reconnaissant de t'être occupé de moi toutes ces années et je veux ce qu'il y a de mieux pour toi. C'est interdit ?

Je le giflai, le faisant taire du même coup.

- Rien ne peut justifier les meurtres que tu as commis, rien ! C'était si difficile d'être quelqu'un d'honnête et de correct ?!

Sur ce, je courus m'enfermer dans ma chambre.

Tout en essuyant mes larmes de rage, j'insultai mentalement Priam de tous les noms d'oiseaux que je connaissais. Comment avait-il pu me trahir ainsi ? Et, par-dessus tout, prétendre qu'il le faisait pour moi ?


Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant