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NOAM

Je mordillai mon stylo, perplexe. Il ne me restait que quelques heures pour terminer mon poème. Dans la mesure où chacun de mes vers me laissait insatisfait, je doutais d'en venir à bout avant l'arrivée d'Adrien. A moins, bien sûr, que de l'encre magique s'écoule d'elle-même de mon stylo directement sur la feuille.

J'enfilai mes écouteurs et appuyai sur le bouton « Play » de mon MP3. C'était mon dernier recours après avoir lu des dizaines de poèmes et regarder par la fenêtre pendant de longues minutes pour voir si des mots ne tombaient pas par hasard du ciel. Hoobastank, Nickelback, Sum41, tous ces groupes de rock que j'aimais m'inspireraient peut-être ?

Je fermai les yeux pour m'imprégner de la musique et me mis à fredonner. Au moment même où le visage d'Achillia s'imposa à moi, un flot de mots s'abattit sur ma tête et je m'empressai de les écrire sur mon calepin. Toutefois, je constatai après quelques lignes que mes vers n'avaient pas plus de sens que de rimes. Je fronçai les sourcils, déterminé à noircir les feuillets de mes pattes de mouches tant que je n'aurais pas trouvé le ton juste pour m'adresser à la fille de mes rêves.

Comme possédé, je fis courir mon stylo sur le papier sans pouvoir m'arrêter. Tous les poètes amoureux ressentaient-ils cette fièvre lorsqu'ils écrivaient à la personne aimée ? Probablement.

Soudain, un éclat de rire monta dans ma gorge, irrépressible, en imaginant la tête qu'aurait fait Mme Martin en me voyant écrire des poèmes, elle qui n'avait jamais réussi à me faire aimer la littérature et encore moins la poésie.

Bien que sceptique, je mis un point final à mon poème. Je détachai ensuite proprement la page de mon carnet de croquis et la glissai dans une petite enveloppe bleu pâle avec appréhension. Passionnée de lecture, Achillia ne manquerait pas de remarquer la pauvreté de mon vocabulaire. Je croisais les doigts pour que cela lui plaise quand même un peu.

On frappa soudain à la porte et je souris. Mon frère et moi avions toujours été parfaitement synchronisé quelle que soit la situation.

- Entre, Adrien.

Il s'exécuta et s'avança vers moi, un petit classeur vert menthe coincé sous le bras.

- Salut, Noam.

- Kensei.

- Pardon ?

- A partir d'aujourd'hui, j'aimerais que tu m'appelles Kensei.

Quelques secondes s'écoulèrent dans un silence de plomb pendant lesquelles il me dévisagea, l'air impassible. Puis, il éclata de rire.

- Noam, je vais dire aux médecins de réduire le dosage de tes médicaments.

Me sentant rougir, je baissai la tête pour tousser discrètement.

- Arrête, Ad...

Il prit le tabouret pliable laissé à l'abandon sous mon lit, le déplia et s'assit dessus.

- C'est de la part d'Achillia, m'informa-t-il en me tendant le classeur. Il contient les cours que tu as manqués.

- Tu la remercieras de ma part.

Mon frère souleva l'enveloppe sur la table de nuit en haussant un sourcil interrogateur. Je lui expliquai mon idée.

- J'aimerais que tu mettes cette enveloppe sur le rebord de sa fenêtre. Essaye de faire en sorte qu'elle ne te voit pas. Je ne veux pas qu'Achillia sache que c'est moi.

Adrien leva les yeux au ciel et poussa un soupir exaspéré.

- Pourquoi faire tant d'histoires ? Qu'est-ce que tu risques ? Je ne comprends pas, Noam. Dis-lui que tu l'aimes et c'est tout, bon sang ! Tu te compliques la vie pour rien...

Je détournai le regard. Une part de moi savait qu'il avait raison. Pourtant...

- Si je signe ce poème de mon nom, elle se méfiera, pensera que c'est une plaisanterie de mauvais goût de Louis ou d'une tierce personne du quartier nord puisque je suis à l'hôpital. Non, Ad. Je veux lui parler vraiment. Mettre de côté notre condition sociale. Prouver mon authenticité, ma sincérité. Quand le moment viendra, je lui dirai qui je suis.

Mon frère acquiesça mollement. Il n'était clairement pas convaincu.

- Achillia a pleuré pour toi, Noam. Devant moi. Elle n'est peut-être pas si indifférente que tu le penses. Elle ne met peut-être pas tous les types du quartier nord dans le même panier. Et puis..., je ne suis pas facteur !

Je joignis les mains pour le supplier de m'accorder cette faveur.

- S'il te plaît, Ad ! Je l'aurais bien fait moi-même mais je ne peux pas sortir d'ici, ajoutai-je en englobant la chambre d'un geste.

Il soupira avec résignation.

- Tu es tombé sur la tête bien plus fort que je le croyais. Tu te trouves un pseudo ridicule, tu écris des poèmes et, pour finir, tu me supplies ! Tu ne devrais pas laisser une fille avoir autant d'emprise sur toi. C'est dangereux pour ta santé mentale.

Je fis comme si je n'avais rien entendu.

- Feras-tu ce que je te demande, Ad ?

- Je n'ai pas vraiment le choix.

- Merci, petit frère. Je te revaudrai ça.

- Tu as intérêt.

Il regarda ailleurs, gêné.

Il avait toujours été ainsi depuis tout petit. Dur au cœur tendre.

- Bon, il faut que j'y aille.

J'acquiesçai en regardant le ciel s'assombrir par la fenêtre.

- A demain, Adrien.

Il secouait toujours la tête lorsqu'il referma la porte derrière lui, ce qui me fit sourire. A peine quelques secondes plus tard, une infirmière aux cheveux grisonnant m'apporta mon repas du soir avec, en dessert, un lot de médicaments aux noms imprononçables. Je la remerciai d'une grimace.

- N'hésitez pas si vous avez besoin de quelque chose. Appelez-moi.

Je hochai la tête, un sourire plaqué sur le visage, sachant très bien qu'elle ne pourrait accéder à ma requête et faire venir Achillia. Les patients mis au secret ne pouvaient pas recevoir de la visite à l'exception d'un membre de leur famille.

Elle s'en alla en marmonnant quelque chose que je ne compris pas et je pris le classeur qu'Adrien avait apporté pour moi. En l'ouvrant, je découvris avec joie un petit sachet de pâtes de fruits dans la première pochette en plastique. J'adorais toutes les sucreries sans exception mais celles-là étaient de loin mes préférées.

Je renversai le contenu de la seconde pochette dans ma main. C'était un bout de papier si minuscule qu'il était à peine visible. Je mis trois bonnes minutes à le déplier. D'une écriture microscopique, Achillia s'excusait pour ce qui m'était arrivé. Adrien avait peut-être raison finalement.

J'ouvris le sachet de pâtes de fruits avec mes dents et en avalai une poignée. Ils avaient le goût de l'espoir.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant