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ACHILLIA


- Bien. Vous pouvez poser vos stylos.

Je m'exécutai, dépitée. Une fois de plus, j'allai rendre copie blanche à une interrogation surprise. Notre professeur d'histoire paraissait bien décidé à se faire détester de tous les élèves.

Chacun leur tour, mes camarades de classe se levèrent pour déposer leur copie dégoulinante d'encre bleue ou noire sur le bureau. Trop intimidée pour faire de même, j'attendis la fin du cours pour apporter la mienne. Je gardais les yeux baissés n'osant pas croiser le regard de mon professeur principal.

- Achillia, je peux te parler une minute ?

Je soupirai.

Il commença à monologuer sans même attendre ma réponse.

- Nous ne sommes qu'au début du second trimestre et tes notes dégringolent. Tu as eu sept absences dont cinq injustifiées. Achillia, si tu as des problèmes, tu sais que tu peux m'en parler ?

Je restai de marbre, le regard impassible et les lèvres scellées. Bien entendu, j'aurai pu parler de mes allergies chroniques à l'établissement mais je redoutais les conséquences. Me taire était donc préférable.

- Que comptes-tu faire l'année prochaine, Achillia ?

- ...

Comprenant que je n'ouvrirais pas la bouche, il m'autorisa à partir en m'adressant un regard à la fois compatissant et contrarié. Terriblement agaçant. L'avenir m'effrayait tant et si bien que je m'interdisais d'y penser. Trop abstrait. Trop incertain. J'avais déjà bien assez à faire dans le présent.

- Achillia ?

- Quoi ? grognai-je en me retournant brusquement.

Augustin leva les mains en l'air avec un sourire d'excuse.

- On dirait que tu vas me sauter à la gorge. Vraiment.

J'inspirai profondément et fermai les yeux pour me calmer.

- Augustin, je n'ai pas le temps de discuter, je vais être en retard à mon prochain cours.

- Je voulais juste m'assurer que tu n'avais pas changé d'avis pour cette après-midi.

- Tu sais mieux que quiconque que je n'ai qu'une parole, Augustin.

- Certes...

- A ce soir, donc.

Je tournai les talons, lèvres pincées.

Le soir arriva vite, bien trop vite à mon goût. Angoissée, je me tordais les doigts devant la porte du Cénacle. Contrairement à Augustin, je ne pouvais me résoudre à faire comme si de rien n'était. J'étais parfaitement incapable de jouer la comédie. Travailler avec lui allait être une vraie torture. Je le savais et, pourtant, j'avais accepté. Quelque chose ne tournait clairement pas rond chez moi. J'avais un peu trop tendance à me mettre dans des situations délicates.

Je pris mon courage à deux mains et frappai trois coups à la porte avec fermeté, laissant mes doutes de côté pour quelques heures.

- Entre, Achillia ! entendis-je à l'intérieur.

Je m'avançai jusqu'à lui difficilement, ayant l'impression d'avoir du plomb dans l'estomac.

Mon ex petit-ami avait reculé toutes les tables dans le fond de la salle circulaire et placé deux coussins beige au centre avec deux pots à crayons débordant de stylos, portemines, surligneurs et autres outils indispensables aux futurs écrivains que nous étions. Enfin, peut-être.

Augustin termina de griffonner quelque chose sur une feuille blanche avant de se lever pour venir me prendre par la taille. Mon cerveau ne fit qu'un tour.

- Augustin, qu'est-ce que... ?!

Je repoussai ses mains aussi loin de moi que possible. Il se reprit mais trop tard. L'éclat de malice que j'avais aperçu dans son regard n'augurait rien de bon.

Sans un mot, il retourna s'asseoir sur le coussin. Je restai debout, les poings serrés.

- Si tu voulais encore me toucher, il ne fallait pas rompre avec moi, assenai-je, acerbe. Au passage, je ne connais toujours pas la raison de cette séparation.

Il me tendit la feuille sur laquelle il avait écrit un petit synopsis.

- C'est pour toi. Lis, m'ordonna-t-il.

Dès les premiers mots, je devins livide.

- Ce scénario n'a aucun sens, balbutiai-je, le cœur au bord des lèvres.

- Je connais ton secret, Achillia.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Tu peux nier autant que tu veux, cela ne changera rien. J'ai fait des recherches sur toi et ta famille. C'était très... instructif. Je t'ai quitté parce que je ne pouvais pas sortir avec une fille qui faisait tant de mystères.

Je chiffonnai la feuille, les mains tremblantes.

- Alors, pourquoi revenir vers moi ?

- Tu peux bien réduire cette feuille en confettis, j'ai sauvegardé ta passionnante histoire sur une clé USB.

Il revint vers moi et colla ses lèvres contre mon oreille pour chuchoter.

- Ce secret que j'ai découvert me donne du pouvoir sur toi. Si tu ne veux pas que je le divulgue, il va falloir faire tout ce que je te demande...

Des larmes coulèrent sur mes joues. Je ne pouvais plus les retenir.

- Espèce de monstre !

Il posa ses lèvres sur les miennes pour me faire taire.

- Soit gentille, Ach...

- Tu as eu ce que tu voulais. Je peux m'en aller ?

Quelle situation humiliante !

Il se détacha de moi et me laissa partir. Son sourire triomphant me donnait envie de vomir. En quelques secondes ma vie venait de tourner au cauchemar.

A la maison, mon seul réconfort fut de trouver un poème de Kensei sur le rebord de ma fenêtre. Que ferait-il à ma place ?


Couleurs de printemps
Les fleurs s'épanouissent
Et ton sourire

Kensei

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant