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NOAM

Le visage collé contre la vitre, je suivis avec les jumelles les moindres faits et gestes d'Augustin et Achillia. Le ciel s'assombrissait de plus en plus et le lampadaire près du banc les éclairait comme sous un projecteur. Dans les buissons derrière eux, en regardant bien, je pouvais distinguer la silhouette accroupie de mon frère. J'espérais qu'il soit assez attentif pour me répéter leur conversation dans son intégralité et pas seulement des bribes.

Mes yeux glissèrent de nouveau sur le « couple ». Achillia semblait à la fois contrariée et intriguée. Elle triturait un mouchoir en papier nerveusement. Soudain, Augustin se laissa tomber sur le banc près d'elle. Un peu trop près même, jugeai-je en voyant leurs genoux se toucher. Il remua les lèvres et Achillia fronça les sourcils. Qu'avait-il bien pu lui dire ? Elle porta son mouchoir à son visage et éternua. Je n'entendis strictement rien mais souris en repensant à ses éternuements répétitifs en classe. Cela me rappelait les pépiements d'un oisillon.

Brusquement, elle releva la tête dans ma direction et je reculai d'un pas en lâchant mes jumelles, le cœur battant. A moins d'avoir les dons de la Femme Bionique, elle ne pouvait pas m'avoir remarqué !

J'attendis quelques secondes pour me rapprocher de la vitre et... exploser de rage. Tout joyeux, Augustin entoura de son bras les frêles épaules d'Achillia. Juste avant qu'elle ne bondisse du banc, visiblement mal à l'aise. Après l'avoir repoussé comme il l'avait fait quelques jours auparavant, comment OSAIT-IL ? Ce...

Au moment même où j'insultai Augustin de tous les noms d'oiseaux que je connaissais, Achillia se retourna pour observer le bâtiment Est et je me tins à distance. On n'est jamais trop prudent.

En me rapprochant de la fenêtre, je vis Achillia s'éloigner et sortir du parc. Augustin resta un moment à la regarder avant de prendre la direction opposée, son casque de motard sous le bras, tête baissée. Voilà qui était surprenant. J'aurais été prêt à parier mon tout nouveau don qu'il la raccompagnerait chez elle. Avait-il à ce point peur du quartier sud ? Ou bien Achillia l'avait envoyé promener ? La seconde option était la plus réjouissante !

Je ramassai les jumelles pour observer les buissons. Adrien avait disparu. Sans doute avait-il suivi Achillia jusqu'à chez elle pour s'assurer qu'elle rentrerait bien. Je hochai la tête avec un sourire satisfait. J'étais chanceux d'avoir un frère si prévenant et qui accomplissait ce qu'on lui demandait avec beaucoup de zèle.

L'esprit tranquille, je retournai m'asseoir sur mon lit et commençai à réfléchir aux vers de mon prochain poème. Comme à chaque fois, je fis courir mon stylo sur le petit calepin qui me servait de boîte à idées, jetant sur le papier tous les mots qui me passaient par la tête lorsque je pensais à elle. Certains vers se formaient d'eux-mêmes, petit à petit, timidement. Je faisais de mon mieux pour qu'ils sonnent justes, pour qu'ils aient du sens, qu'ils n'en dévoilent pas trop. Surtout, je souhaitais qu'ils marquent son esprit et qu'elle s'en souvienne plus tard.

L'heure s'écoula aussi vite que l'encre de mon stylo. Le regard perdu entre les pages de mon dictionnaire de poche, je mémorisai mon quota journalier de mots lorsqu'une infirmière entra avec mon plateau-repas. Elle prononça quelques paroles inintelligibles et je souris par politesse. Pouvait-elle apercevoir les flots de phrases sans queue ni tête qui dégoulinaient de mes oreilles et de mon nez ? Elle referma la porte derrière elle et j'en profitai pour mettre un point final à mon poème avant que la porte ne s'ouvre de nouveau... sur Adrien.

Il était dans un sale état, un pan de sa veste déchirée à l'épaule, son jean noir troué au genou gauche et un bandage enroulé autour de sa cheville droite. Je haussai les sourcils, surpris.

- Ad, je t'avais demandé de veiller sur Achillia, pas de partir en guerre ! Que t'est-il arrivé ?!

- Primo, grogna-t-il, tu m'as demandé de l'espionner. Segundo, c'est trop long à expliquer.

Je tapotai le bout de mon lit pour l'inviter à s'asseoir.

- J'ai tout mon temps.

- Les heures de visites sont terminées. Si une infirmière nous trouve, ça va craindre, soupira mon petit frère en s'asseyant. Je te préviens Noam, ajouta-t-il avec un regard peu amène, c'est la dernière fois que je fais une chose pareille !

J'acquiesçai, attendant qu'il poursuive.

- Augustin souhaite faire équipe avec Achillia pour un projet d'écriture.

- C'est tout ? Elle a accepté ?

- Oui.

- Quoi d'autre ?

- J'ai suivi Achillia. L'entorse, c'est de sa faute, elle ne regarde pas avant de traverser la route ! Une voiture fonçait droit sur elle et je me suis précipité pour l'écarter.

- Très courageux de ta part, petit frère. Je suis fier de toi.

Il haussa les épaules avec indifférence.

- Tu aurais fait la même chose. Après, elle a dû m'emmener chez elle pour me faire un bandage et j'ai pris le bus pour te rejoindre. C'est tout.

- Attend une minute ! Tu veux dire que tu es entré chez elle ? Tu as vu l'intérieure de sa maison ?!

- Eh oh, du calme ! s'écria-t-il. Franchement, il n'y a pas grand-chose à en dire. Elle vit dans une boîte d'allumettes. Rien à voir avec chez nous.

- Tu as pu voir sa chambre ?

Il leva les yeux au ciel une fois de plus.

- Non, Noam. Non.

Un silence suivit que je brisai aussitôt en allumant la radio et en me laissant bercer par les dernières notes de Every breathe you take.

- Je suis désolé que tu te sois fait cette entorse, Ad. Sinon, tu n'as rien d'autre à me dire ?

- Non.

- Ce n'est pas très convaincant...

Il m'adressa un regard glacial.

- Achillia et Augustin ont rendez-vous demain après-midi après les cours pour travailler.

Sans prévenir, mon don s'anima et mon corps se mit à faire des bonds incontrôlés dans toute la chambre. L'estomac tout retourné, il me fallut plusieurs longues secondes avant de pouvoir tenir debout au même endroit à nouveau.

Excédé, mon frère serra les poings.

- Faut te mettre au décaféiné, mec ! Tu vas alerter les infirmières avec tes bêtises !

- Désolé, m'excusai-je. C'est vrai, je dois apprendre à me contrôler.

- Entre nous, je ne sais pas ce qu'Augustin a en tête mais ton amie n'a pas l'air dupe. Elle transpirait la méfiance quand je les écoutais tout à l'heure.

- Alors, pourquoi n'a-t-elle pas refusé, tout simplement ?

- Peut-être parce qu'elle l'aime encore.

J'adressai un regard noir à Adrien. Il haussa un sourcil d'un air de défi.

- Pourquoi poser la question si tu n'avais pas envie d'entendre la réponse ?

Je me renfrognai.

- Les médecins ne devraient plus tarder à me libérer de ces quatre murs suintant l'antiseptique. En attendant, j'aimerais que tu veilles sur elle, Ad.

Il se leva et se dirigea vers la porte sans me jeter un regard. Il posa la main sur la poignée et répondit enfin :

- Arrête, Noam. Ça suffit. Tu n'es pas de sa famille, tu n'es pas non plus son petit ami alors cesse de faire comme si elle t'appartenait.

Il sortit sur ces mots, me laissant bouche bée.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant