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ACHILLIA

Priam entra chez nous et referma la porte derrière lui. Je me tournai vers Noam.

- Je suis désolée, j'espère que mon frère n'a pas été trop brusque avec toi.

- Non, pas du tout. Je suis habitué à voir cet air renfrogné, Adrien a le même depuis quinze ans.

Je souris et soufflai dans mes mains glacées pour les réchauffer.

- Achillia, pourquoi tu ne veux pas qu'on sache que tu as un frère adoptif ?

Je levai les yeux. Même si je faisais confiance à Noam, lui confier mon secret revenait à me mettre à nue et il était déjà beaucoup trop impliqué dans ma vie et mes problèmes, à mon goût.

- Noam, pourquoi voulais-tu me voir ?

- J'ai demandé en premier.

Je n'eus d'autre choix que de lui adresser un regard suppliant.

- S'il te plaît, ne pose pas de questions. Je suis une piètre amie, j'en ai conscience mais je ne peux pas faire autrement. Cela ne m'empêche pas d'apprécier ton aide mais pour ton propre bien il vaut mieux que tu ne saches rien.

Les larmes me montèrent aux yeux, incontrôlables. Noam s'approcha doucement pour me prendre dans ses bras. Son menton arrivait juste au-dessus de ma tête et je me laissai aller contre lui.

- Ce doit être dur de n'avoir personne à qui se confier, murmura-t-il.

Je reniflai en guise d'approbation.

Le lendemain matin, mardi, je me réveillai avec la sensation d'avoir un essaim d'abeille dans la tête. Des images s'entremêlaient dans mon esprit, mélange de rêve et de réalité.

Après une douche rapide, je nouai mes cheveux en une longue tresse, enfilai une longue robe noire à fleurs violettes et maquillai ma bouche de la même teinte.

Puis, en passant dans le salon, j'ébouriffai les boucles de mon petit frère. Il ne leva pas le nez de sa console de jeux.

- N'oublie pas le collège, Priam.

- Aucun risque, grogna-t-il.

Devant le lycée, Noam m'attendait. Son sourire était contagieux. Il y eut un petit moment de flottement tandis que nous nous remémorions notre étreinte de la veille.

- Bonjour, Achillia. Tu veux un croissant ?

Je haussai les sourcils. Il retira alors la main qu'il cachait dans son dos et me tendit le sachet en papier tout droit sorti de la boulangerie. L'odeur me fit saliver.

- C'est gentil, Noam. Merci beaucoup...

Il sourit.

- Je sens qu'il y a un « mais... ».

J'acquiesçai.

- Si on te voit avec moi, tu vas avoir des ennuis. Je ne veux pas.

- Par « on » tu veux dire Augustin, devina-t-il.

Je confirmai en jetant des coups d'œil nerveux alentours.

- Si tu veux qu'Augustin te fasse confiance, ajoutai-je, il va falloir que nous gardions nos distances. Juste le temps que je récupère ma clé USB.

Son expression outrée m'aurait fait éclater de rire en d'autres circonstances.

Le premier cours de la journée, philosophie, fut le plus long et ennuyeux de la journée. Nous devions faire une dissertation, qui n'était heureusement pas notée, sur le sens du devoir. Qui mieux que moi aurait pu expliquer ce qu'était le sens du devoir ? Je connaissais le poids des responsabilités et j'aurais pu écrire une dizaine voire une vingtaine de pages sur ce sujet sans aucun problème. Pourtant, je n'en fis rien. Mon corps était en classe mais mon esprit était occupé autre part. Je n'avais pas regardé sur le rebord de ma fenêtre depuis un moment et si Kensei y avait déposé une enveloppe, elle devait être trempée de pluie. Je croisais les doigts pour qu'elle ne soit pas trop illisible lorsque j'irai la chercher à la pause. Cette fois, c'était à mon tour de remettre à plus tard mon déjeuner avec Noam et cela m'attristait plus que je ne l'aurais bien avoué. Sa compagnie était si agréable ! Les garçons aussi craquants et gentils que lui se faisaient rares. Plus encore ceux qui osaient s'approcher et parler à « la gothique ».

Je jetai un œil dans sa direction. Il était assis à ma droite, trois tables plus loin. Concentré au point d'en paraître presque possédé, il se déchaînait sur sa copie double avec son stylo quatre couleurs.

Et intelligent en plus, ajoutai-je mentalement.

A la fin du cours, Madame Sosureau passa dans les rangs ramasser les copies. Elle grimaça quand je lui tendis la mienne.

- Faites au moins l'effort de mettre votre nom en haut de la première page, mademoiselle Tanaka. Il y a si peu à lire sur votre devoir !

Je m'exécutai, le visage cramoisi de honte pendant que les autres élèves sortaient de la classe. Ma prof de philo n'était pas réputée pour son indulgence, inutile donc de chercher à me justifier.

A l'interclasse de onze heures, Augustin m'envoya un texto pour me demander de le rejoindre au Cénacle cinq minutes. J'obéis, le cœur battant.

A peine arrivée, il m'attrapa par la taille.

- Pardonne-moi, Achillia. Jamais je n'aurais dû te gifler, j'ai eu tort. Je suis désolé.

Je fronçai les sourcils et le repoussai sans ménagement.

- A quoi tu joues, Augustin ?

L'air blessé, il baissa la tête.

N'écoute pas ce type, il joue la comédie, murmura la petite voix dans ma tête.

- Je sais que je m'y prends mal mais il faut que tu comprennes que je t'aime et que tu m'appartiens.

- Tu as perdu la tête. On ne fait pas du chantage à une personne qu'on aime. Et, je n'appartiens qu'à moi seule.

Il posa ses lèvres sur les miennes doucement, délicatement. Cet éclat de tendresse inattendu me fit perdre mes moyens.

Je ressortis du bureau, essoufflée par notre baiser. Ma volonté de le haïr avait énormément faibli. S'il éprouvait un repentir sincère, peut-être restait-il encore du bon en lui ?



Je ne crois en rien

Pourtant tu te poses en moi

Comme une prière

Kensei

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant