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ACHILLIA

Pour ce regard là

J'ai jeté mon cœur

Dans tous les feux de l'enfer

Kensei

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! m'écriai-je, sidérée.

Je regardai par la fenêtre en me demandant s'il n'y avait pas des caméras cachées quelque part. Perplexe, je tirai les rideaux.

Il n'y avait que dans les romans à l'eau de rose qu'une femme était susceptible de trouver un poème sur le rebord de sa fenêtre. Cela ne pouvait être qu'une énorme farce des élèves de ma classe. Je savais qu'ils en étaient capables.

Pourtant, en relisant le haïku, j'ai eu envie d'y croire. Qui n'avait jamais rêvé d'avoir un admirateur secret ? Quelqu'un qui veillerait sur nous à notre insu ? Savoir que je plaisais à quelqu'un en secret était à la fois inquiétant et très flatteur. Par ailleurs, la signature du mystérieux poète m'intriguait. Dans la culture japonaise le « Kensei » est un titre honorifique attribué à un guerrier aux compétences légendaires. Il n'avait pas pu choisir ce pseudonyme au hasard. Et, il connaissait sans aucun doute mon goût pour les poèmes courts, les haïkus.

Un sourire espiègle étira mes lèvres. Ce personnage énigmatique avait brisé la monotonie de mon existence.

Après une douche rapide, je m'installai dans le canapé du salon pour commencer mes devoirs de la semaine suivante. Mon cerveau n'était malheureusement pas décidé à se concentrer et dérivait sans arrêt. Grande rêveuse que j'étais, je ne pouvais m'empêcher de me poser mille et une questions. A quoi ressemblait mon mystérieux poète ? Etait-il brun ? Blond ? Roux ? Avait-il comme moi les yeux noirs comme un puits sans fond ou au contraire des yeux clairs comme de l'eau ? Etait-il d'origine japonaise comme moi ? Venait-il de mon quartier ? Y avait-il parmi les adolescents du quartier sud, un amoureux des mots ?

Stop ! Stop ! Stop ! Tu as un contrôle à réviser, tu te rappelles ?

Je balayai mentalement cette petite voix intérieure et levai les yeux sur le ciel nocturne, à travers la fenêtre. Trois étoiles étaient alignées en arc de cercle au-dessus de ma maison. La voûte céleste me souriait.

Le lendemain matin, je me réveillai en sursaut, secouée par la sonnerie stridente de mon téléphone portable. Déroutée, je me frottai les yeux. Adieu ma grasse matinée. Une petite lunette s'affichait sur l'écran de mon appareil signe que j'avais un message sur mon répondeur. Je l'écoutai distraitement en m'extrayant du lit. Une femme du quartier Nord, certainement dans la cinquantaine, me demandait de passer faire le ménage chez elle. L'esprit encore embrumé, je notai son nom et son adresse et l'heure suivante je frappai à sa porte.

Sans même me dire bonjour, elle me tendit un balai et un chiffon et ponctua son geste d'un « à vous de jouer ». Je remontai donc mes manches et enfilai mon tablier et mes gants en latex rose avant de me mettre au travail.

Après une matinée de nettoyage éreintante, je repris le chemin de la maison... avant de me souvenir de mon emploi du temps. Un pavillon et un appartement attendaient encore mon passage. Je rebroussai donc chemin avec un soupir à fendre l'âme.

Le soir, je me trainais jusqu'à mon lit avec une démarche de zombie. J'étais épuisée par cette journée de travail et je m'endormis avant même que ma tête ait touchée l'oreiller.

Lundi matin, tandis que je préparai mes affaires pour aller en cours, je glissai le haïku de Kensei dans mon sac à dos sur une intuition. Ainsi, si je passais une mauvaise journée au lycée, je n'aurais qu'à déplier le poème et le relire une énième fois pour me réconforter.

Je traversai le couloir encadré de casiers jaunes canari d'un pas traînant, tête baissée. J'étouffai et la sensation persistante que tout le monde avait les yeux braqué sur moi ne me quittait pas.

Et s'il était là ?

Je levai la tête et mes yeux firent la navette d'un bout à l'autre du couloir... avant de croiser un regard glacial.

- Mademoiselle, que faites-vous encore ici ? Les cours ont commencé depuis cinq bonnes minutes déjà.

C'était la conseillère d'orientation. Elle aurait pu être la sœur flippante de Dolores Ombrage.

- Je m'excuse, madame. J'y vais tout de suite.

Je m'éclipsai par les portes battantes sans demander mon reste. J'étais bien mieux dans les sous-sols.

Je quittai le lycée à la pause méridienne plus intriguée que jamais. Tant de questions se bousculaient dans ma tête que mon crâne était trop petit pour toutes les contenir.

Qui es-tu, Kensei ?

Lundi, je mènerai l'enquête, me promis-je. Je savais par expérience qu'il y avait un Cénacle au lycée. En seconde, je m'y étais inscrite. Puis, j'avais fini par ne plus y aller, lassée. Mais rien ne m'empêchait d'aller voir le président du club pour lui demander la liste des membres. C'était plutôt une bonne piste. J'interrogerai chacun d'entre eux jusqu'à trouver mon admirateur. Cela semblait si simple en théorie !

Le visage de Noam me traversa soudain l'esprit et je redevins morose. Lui aussi aimait la culture japonaise et les mangas...

Je fis un détour par la librairie et, sans réfléchir, achetai les deux premiers tomes du nouveau manga à la mode. Je me rendis ensuite chez sa famille en espérant qu'Adrien serait là pour que je puisse les lui remettre en main propre et qu'il les donne à son frère lors de sa prochaine visite à l'hôpital.

Il refermait le portail lorsque je suis arrivée devant chez lui.

- Bonjour, Adrien.

Il se redressa et fit volte-face.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?! demanda-t-il sur la défensive.

J'écarquillai les yeux, surprise par sa réaction. Il avait été un peu plus cordial à notre première rencontre.

- Je voulais juste... j'ai acheté des mangas pour Noam. Je me suis dit que ça lui ferait plaisir...

- Ah..., a-t-il soupiré, visiblement soulagé.

Je le regardai, perplexe. Il éclata de rire et passa la main dans ses cheveux, l'air gêné.

- Désolé, je suis un peu sous-pression en ce moment. Merci pour les mangas, Noam sera ravi.

- Je t'en prie. Bon, euh...à la prochaine.

- A plus, Achillia.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant