51

2 1 0
                                    

NOAM

Jeudi après-midi, j'insistai pour qu'Achillia vienne avec moi au lycée. Il était temps que je fasse tomber le masque et il n'y avait pas meilleur endroit. Finalement, la veille, j'avais repris la lettre à l'infirmière avant qu'Achillia ne l'intercepte. Elle en était encore au stade de brouillon et méritait quelques modifications.

A l'heure du déjeuner, après avoir raturé et réécrit un nombre incalculable de fois, je jugeai ma lettre achevée. J'avais des sueurs froides.

Avant de changer d'avis, j'envoyai un texto à Achillia pour lui donner rendez-vous dans les sous-sols dans dix minutes.

Sentant mes jambes semblables à de la gélatine, je m'assis sur la dernière marche au bas de l'escalier. Je respirai à fond et tentai de me convaincre que tout allait bien se passer. Je remuai mes doigts engourdis pour chasser les fourmis.

Entendant la porte s'ouvrir en haut de la cage d'escalier, je me levai.

- Noam ?

Dos à elle, je regardai le mur bleu pâle droit devant moi.

- Tout va bien, Achillia, ne t'inquiètes pas. Pourrais-tu rester là-haut ? J'ai quelque chose de très important à te dire mais je risque de perdre mes moyens si je croise ton regard alors...

Elle laissa passer quelques secondes.

- D'accord, répondit-elle, intriguée. Je t'écoute, Noam.

Je suai à grosses gouttes, comme si je venais de sortir d'un sauna. Les doigts tremblants, je dépliai ma feuille et commençai à la lire à haute voix.

Achillia,

Ne sachant par quoi commencer, je m'excuse par avance pour mes pensées décousues. Ces deux derniers mois ont été des plus difficiles pour toi, je le sais. Bien que j'aie cessé de t'écrire depuis un moment, tu n'as jamais quitté mon esprit, mon cœur, mon âme.

Quand cette aventure a commencé, j'étais un lycéen tout ce qu'il y a de plus immature. Puéril, je me suis inventé une identité pour me valoriser à tes yeux. Ce que je n'ai pas compris à l'époque, c'est que c'était parfaitement inutile. Bon nombre de fois, on m'a conseillé de te dire la vérité mais je n'ai pas écouté. Etre Kensei me rendait heureux, je ne voulais pour rien au monde que cela cesse !

Pourtant, je crois qu'une part de moi était curieuse de voir ta réaction, en découvrant qui se cachait derrière ces mots. Cela m'a motivé à tout t'avouer. J'ai essayé, vraiment. Seulement, le bon moment ne s'est pas présenté.

La nuit où tu m'as embrassé a été la plus belle de mon existence. Sincèrement. Tu partageais mes sentiments ! J'ai alors su que je te devais la vérité. Cependant, je me suis défilé encore, sans aucune raison.

Puis, tu es tombée dans le coma me laissant au désespoir. J'ai eu si peur de te perdre ! Je n'oublierais sûrement jamais cet épisode de ma vie qui a rendu mon cœur aussi dur que le marbre.

Pour terminer cette lettre, je veux te dire simplement que je t'aime. Tu n'en as pas conscience mais tu es désarmante. Je souhaite te regarder, te tenir par la main, te combler pour un temps indéfini.

Je me tue. N'osant pas me retourner, j'attendis qu'Achillia dise quelque chose. Elle n'en fit rien pendant un long moment. Enfin, elle descendit lentement les marches jusqu'à être à ma hauteur. Elle me donna un petit coup de poing à l'omoplate avant de coller son front sur ma nuque.

- Tu as dû me trouver bien lente d'esprit pendant tout ce temps, murmura-t-elle. N'est-ce pas, Kensei ?

Je me retournai vers elle avec une irrésistible envie de l'embrasser. J'avais imaginé tant de scénarios, des larmes, une gifle... et elle me prenait totalement au dépourvu. Pas une once de colère, pas la moindre tristesse ni le plus petit reproche dans sa voix. Il m'était impossible de savoir à quoi elle pensait.

- Appelle-moi Noam.

Tout sourire, elle secoua la tête.

- Tais-toi et embrasse-moi.

Adrien m'aida à préparer la fête d'anniversaire d'Achillia, poussé par le - j'avalai ma salive - fantôme de Priam. Mon frère s'était finalement décidé à tout avouer à la fille de mes rêves, probablement fatigué de la compagnie constante de Priamv.

Le grand soir, tout était prêt. Nous avions commandé chez le traiteur, nous avions décoré chaque pièce de la maison dans les tons rouge et noir et la chaîne hifi diffusait une playlist de tous les titres préférés de ma... copine.

Tout était parfait.

Peut-être trop car Achillia refusa de sortir de sa chambre.

- Noam Chance, tu n'avais pas besoin de te donner autant de mal ! Je ne voulais pas le fêter..., soupira-t-elle à travers la porte.

- Avoir 18 ans n'arrive qu'une fois, Mademoiselle ! Et puis, je crois que quelqu'un aimerait te parler.

- Adrien et toi êtes les seuls invités de ma fête alors...

- Justement, c'est Adrien qui souhaiterait te dire quelque chose.

- Achillia ! aboya soudain mon frère depuis le rez-de-chaussée. Tu crois à la vie après la mort ?

Le tact n'avait jamais été une des qualités première d'Adrien.

La porte s'ouvrit lentement, dans un grincement, et Achillia passa la tête dans l'entrebâillement. En d'autres circonstances, son expression perplexe m'aurait fait rire.

- Je... je n'ai pas bien compris, je crois...

Adrien franchit les quelques marches qui nous séparait et regarda Achillia droit dans les yeux.

- Priam est encore là. Je peux le voir et l'entendre. J'ai un don moi aussi.

Le visage d'Achillia passa par toutes les couleurs et lorsque des larmes lui montèrent aux yeux, je regrettais qu'Adrien se soit montré si franc. Je voulus lui prendre la main mais elle me repoussa.

- Prouve-le, Adrien. Tu ne peux pas balancer ça et demander que je te crois sur parole. Prouve-le.

Sa voix n'était plus qu'un murmure.

- Il dit que ce soir est son dernier soir. Comme le jour où il est mort, il te demande de sourire et de faire confiance aux personnes qui t'aiment.

- Il est dans la pièce ? Où est-il ?

- Entre Noam et toi.

Achillia se retourna mais, bien entendu, ne vit personne. Elle était pâle comme la mort. Je pouvais lire à la fois la fascination et le désarroi dans son regard.

- Aurevoir, Priam, dit-elle dans un souffle. Merci d'être resté.

Rien que nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant