Rien que nous

25

NOAM

- ... à nous, terminai-je en m'adressant au miroir des toilettes du deuxième étage.

Achillia apparut derrière moi. Elle regarda ses bras et ses jambes, perplexe. Lorsqu'elle se jeta dans mes bras, je me figeai, sous le choc. J'hésitai entre lui rendre son étreinte ou rester les bras le long du corps. Je ne fis rien.

- Nous sommes vivants, murmurai-je à son oreille.

- Je crois bien, répondit-elle, un sourire dans la voix.

Je reculai pour la regarder.

- Avons-nous vraiment changé le passé ?

- Il n'y a qu'un moyen de le savoir.

Sans la regarder, je lui pris la main et nous avons rejoint ensemble le hall du lycée.

- Je reviens, me glissa-t-elle à l'oreille et je libérai sa main à regret.

Mine de rien, elle passa devant la jeune fille distribuant le journal à l'entrée. Cette dernière le lui tendit d'un geste mécanique. Lorsque mon amie leva le poing en criant « Yes ! », j'ai su que nous avions gagné.

Un peu plus tard dans la matinée, elle croisa Augustin dans le couloir. Il la salua avec un sourire et elle agita la main timidement. Je les observai, prêt à intervenir s'il s'en prenait à elle. Rien ne se produisit.

Son sourire ne la quitta plus de la journée. Elle accepta mon invitation à déjeuner à la cafétéria et je l'entendis même fredonner tandis que nous attendions dans la file pour prendre nos plateaux. C'était presque irréel de la voir ainsi.

Pourtant, c'était bien avec elle que je me retrouvais à manger en tête-à-tête.

Se fichant pas mal des gens autour de nous, elle parlait avec animations de choses et d'autres et je l'écoutais en prenant soin de rester concentré sur ses yeux. Sa bouche charnue était bien trop tentante.

Soudain, elle se figea en plein milieu d'une phrase et écarquilla les yeux.

- Kensei ! s'exclama-t-elle.

L'espace d'un instant je me troublai avant de reprendre une expression de marbre.

- J'ai oublié Kensei ! continua-t-elle.

Espérant ne rien laisser transparaître, je demandai :

- Qui est Kensei ?

Son regard me transperça. Pendant une seconde, j'ai cru qu'elle avait compris. Je retins mon souffle.

- C'est un ami, finit-elle par dire.

- Ah oui ? Fis-je en écarquillant les yeux, l'air innocent. Ma voix me sembla bien plus aigüe qu'à l'accoutumée.

Enorme soupir de soulagement intérieur.

- Oui, sourit-elle.

Je ne dis rien de plus de peur de me trahir.

La journée passa en un claquement de doigts.

Le sourire d'Achillia était tel qu'il pouvait sans aucun doute désarmer le diable. Mes mains me démangeaient tant j'avais envie de la serrer dans mes bras. Au lieu de quoi, je les enfonçai profondément dans mes poches, sur le chemin du retour.

- Dis, Noam. Tu as fait partie du Cénacle, non ? Tu n'aurais pas une idée de qui pourrait être Kensei ?

Je secouai la tête avec un sourire gêné.

- Non, désolé, mentis-je, effrontément.

Elle haussa les épaules.

- Ce n'est pas grave. Bon, je dois aller en ville faire quelques courses... On se voit la semaine prochaine ?

Je hochai la tête.

- Bon week-end, Achillia.

- Tu as beaucoup de chance d'avoir un don aussi extraordinaire. Tu peux être chez toi en un clin d'œil !

Je souris et attendis qu'elle s'éloigne avant de disparaître.

Adrien qui s'empiffrait de gâteaux dans la cuisine manqua s'étouffer avec lorsqu'il me vit apparaître.

- Noam ! Si tu recommences ça, je te tue !

Je lui fis un clin d'œil.

- Moi aussi je suis content de te voir, Ad !

Il grogna quelque chose que je ne compris pas.

Je m'installai dans le salon, allumai la radio et commençai à écrire mon haïku.

En arrivant au lycée le lundi matin, j'avais le sourire aux lèvres. Il était près de onze heures et c'était un jour ensoleillé. J'entendais presque les oiseaux chanter. Malheureusement, cela ne dura pas.

Je croyais être arrivé en classe le premier mais je me trompais. Louis et sa clique étaient déjà là et s'affairaient à vandaliser un bureau en particulier, au fond de la classe. Celui d'Achillia.

- Vous faites quoi, là ?

Arthur, le plus froussard d'entre eux, poussa un cri de fillette.

Je levai les yeux au ciel.

Louis lui donna un coup de coude et afficha un sourire méprisant.

- Noam, quelle surprise... Nous étions justement en train de décorer la table de ta chère et tendre...

- Et si vous la laissiez un peu tranquille pour changer ?

- C'est juste quelques mots doux, rien de méchant.

Je serrai les mâchoires. Depuis le seuil où je me trouvais, je pouvais distinguer les graffitis au feutre noir : Dessins obscènes et insultes.

Louis dût voir la lueur meurtrière dans mon regard car son sourire s'élargit.

Je m'avançai alors vers le groupe, un pas après l'autre.

- Vous avez intérêt à effacer ça tout de suite.

Sinon quoi, Chance ?

Louis éclata de rire et claqua sa paume dans celle des deux autres clowns.

Le coup est parti tout seul. J'aurais pu jurer sur ma propre vie que ce n'était pas prémédité. Même si j'en avais eu très envie et que cela m'avait fait un bien fou. A mon grand regret, les surveillants s'étaient interposés trop tôt.

Voilà ce que j'ai raconté au proviseur quand les pions m'ont sauvagement jeté dans son bureau. Noam Chance suicidaire ? Absolument pas.

En sortant du bureau avec quatre heures de retenue en cadeau de remerciement pour ma visite, j'ai aperçu Louis assit sur un siège en cuir rouge avec un œil au beurre noir.

J'aurais dû être satisfait mais j'entendais déjà Adrien et Achillia me traiter conjointement d'idiot.

Je retournai en classe avec dix minutes de retard. Le prof me laissa rejoindre ma place «uniquement parce que je suis magnanime » a-t-il prétendu. Je cherchai Achillia du regard, assise au fond de la classe, toujours près de la fenêtre. Elle avait l'air si dépité que je regrettais de ne pas être télépathe pour savoir à quoi elle pensait. Soudain, mon portable s'alluma dans ma trousse, signe que j'avais reçu un message. J'attendis que le prof soit tourné vers le tableau pour le lire.

« Merci pour ce que tu as fait »