Valacturie - T1 Le Tombeau des Rois

Chapitre 6 - Première partie

Les Yarhels, sur bien des points, nous sont très semblables. Ils sont plus petits et plus minces que nous, mais leur tête est plus ronde et plus volumineuse. Ils sont dotés des mêmes cinq sens que nous, mais ils semblent chez eux plus développés et plus efficaces. La différence la plus notable est qu'ils possèdent le ...

Énith relisait ce paragraphe en boucle depuis cinq minutes, en proie à une frustration grandissante ; impossible de traduire le mot suivant, que le temps et l'humidité avaient légèrement effacé de la vieille page jaunie. Les quelques lettres qu'elle parvenait tant bien que mal à distinguer ne parvenaient pas à former un mot qu'elle puisse reconnaître.

Découragée, elle leva les yeux de son parchemin pour contempler le soleil qui se levait, illuminant la vallée de sa douce lumière, et inspira profondément l'air frais du matin. Elle avait passé toute la journée de la veille plongée dans son travail de traduction, avec la bénédiction de son père cette fois-ci, et était parvenue à déchiffrer entièrement les trois premières pages du manuscrit.
Elle ne pouvait s'empêcher d'être fière de l'avancée de son travail mais elle devait reconnaître que l'aide du Maître Scribe, qui l'avait guidée tout au long de la journée, lui avait été précieuse. Hanshen parvenait toujours à l'aider à se reconcentrer sur l'essentiel lorsqu'elle se laissait dépasser par ses réflexions sur le sens général du texte, qu'elle ne comprenait guère.

A vrai dire, ce texte n'avait décidément ni queue ni tête... Les paragraphes s'enchainaient, ordonnés, et paraissaient obéir à une logique studieuse, évoquant tour à tour des peuples inconnus, des créatures qui ne semblaient pas humaines et des lieux étranges qui semblaient tout droit sortis d'un livre pour enfants.
Énith ne savait pas bien si elle devait se réjouir de découvrir la trace de civilisations primitives et éteintes dont personne n'avait jamais entendu parler, ou bien s'il s'agissait simplement des divagations d'une reine fantasque à l'imagination débordante.

Quoiqu'il en soit, elle était dorénavant certaine que ce texte ne lui apprendrait rien de plus sur le Tombeau des Rois ou le marais maudit, mais elle rechignait à en faire part à son père.

Elle croisa ses jambes en tailleur et s'adossa plus confortablement contre l'arbre près duquel elle s'était installée. Depuis que son père lui avait fait part de cette histoire d'enfant disparu au marais et l'avait encouragée à faire des recherches, son esprit bouillonnait, fouillant dans ses souvenirs de lecture avec frénésie, et le sommeil semblait lui avoir faussé compagnie. Elle s'était réveillée avant l'aurore pour le deuxième jour consécutif, avec l'envie irrésistible de poursuivre son travail afin d'essayer de comprendre, peut-être, le sens de tout ce charabia.

Espérant que l'air frais du matin la stimulerait davantage que l'atmosphère recluse de la bibliothèque (une fois n'est pas coutume), elle avait avalé un petit-déjeuner rapide aux cuisines puis était passée par les écuries pour seller son cheval, en espérant se faire la plus discrète possible au milieu de la foule de domestiques qui s'empressaient d'apporter les derniers détails aux préparatifs du Solstice. Si son père, sa mère, Sirgil ou même Lopaï s'étaient aperçus de son manège, ils lui auraient imposé une garde rapprochée, ce dont Énith préférait largement se passer.

Elle avait donc quitté l'enceinte de la ville discrètement et s'était enfoncée dans la forêt, empruntant le sentier qui serpentait le long de la montagne surplombant Horenfort, à l'ouest. Elle s'était finalement arrêtée au bord d'une falaise ensoleillée, séduite par la vue imprenable sur la vallée et le château qui s'élevait, imposant et majestueux, juste un peu plus bas. Ses larges tours de pierres grises se dressaient telles de fières sentinelles, bien au-dessus des remparts qui s'accrochaient à la falaise. Le ravin à pic qui s'étendait juste sous ses pieds donnait la vertigineuse impression que le château allait tomber dans le vide à tout instant. Pourtant il se tenait là, bien droit et fier, comme s'il défiait les lois de la gravité.