Chapitre 17 - Première Partie

65 19 14
                                    

Il était très tôt lorsqu'ils se mirent en route vers le Marais. Dans une solennité presque palpable, ils chevauchaient les uns derrière les autres sans échanger un mot.

Énith était impressionnée. Une nouvelle fois, elle avait tiré ses cheveux en deux tresses et revêtu une tenue digne d'une guerrière, ses deux lames fidèles toujours à la ceinture. Sa mère portait également les siennes, et son père sa valeureuse épée. Ils étaient accompagnés, en plus des chefs religieux et du Seigneur de Narambie, par le lieutenant Kelen ainsi qu'une dizaine de soldats supplémentaires. La jeune fille avait la vive impression de partir en guerre. De se retrouver au cœur d'une armée prête à livrer une bataille capitale. Comment en étaient-ils arrivés là ?

Elle se rappela leur précédente expédition près du Marais, l'atmosphère accablante et, surtout, la disparition brutale et violente du soldat Barres. Ses mains soudain devinrent moites et elle sentit le cuir des rênes lui glisser entre les doigts. Elle inspira doucement pour se calmer. Elle le savait, chaque foulée les rapprochant du Marais Maudit augmenterait son malaise et son appréhension. Il était indispensable qu'elle conserve son sang-froid.

- Vous semblez nerveuse, Mademoiselle Énith.

La jeune fille sursauta au son de cette voix grave. Juste à côté d'elle, Johol, tout de noir vêtu, hormis ses bijoux dorés qui tintinnabulaient sinistrement, l'observait de ses yeux perçants. Il montait un grand cheval gris pommelé à la robe lustrée et à la musculature puissante. Les longs crins de sa crinière fournie étaient tressés et torsadés, comme ceux de son cavalier. Énith aurait ri de cette forme de coquetterie qui frôlait le ridicule, si ce duo magistral ne l'avait pas autant intimidée. Le visage de Johol était grave et ses sourcils froncés, et Énith pensa qu'elle ne lui avait finalement jamais vu aucune autre expression.

- Bien sûr que je suis nerveuse, répondit-elle. Nous nous approchons d'un lieu maudit d'où se déversent les ténèbres, avec l'intention de leur livrer une bataille qui nous dépasse. La nervosité me semble être une réaction appropriée.

Johol émit un léger bruit qui pouvait faire penser à un pouffement étouffé et détourna le regard. Énith n'aurait pas su dire s'il se moquait d'elle ou non.

- Et vous, Seigneur Johol ? l'interrogea-t-elle. N'êtes-vous pas inquiet de ce qui nous attend ?

- Non.

- Vraiment ? Croyez-vous que vos Dieux soient capables de vous protéger, même dans ces circonstances ?

De nouveau, le représentant du Culte braqua sur elle son regard d'encre.

- Bien évidemment. Vous-même, jeune Énith, avez été élevée selon les préceptes de l'Anima... Tout à l'heure, les Cinq Sages vont tenter de refermer la Porte afin de tous nous sauver. N'avez-vous pas la foi ? Ne croyez-vous pas que vos Esprits Sacrés vous protègeront ?

Énith se sentit offensée par le ton de mépris manifeste que Johol avait laissé échapper en évoquant les Esprits, mais elle ne releva pas.

- Je suppose que non, ajouta-t-il sans lui laisser le temps de répondre. Il semble évident que votre admiration envers le Roi Renard vous a fait oublier votre foi véritable.

La jeune fille détourna le regard, interloquée. Elle ne comprenait pas où il voulait en venir en la provoquant ainsi, mais elle préféra se taire. Elle n'avait certainement pas l'intention de se justifier, ni d'entamer un stérile débat religieux avec cet homme sinistre.

Devant son refus évident de poursuivre la conversation, Johol n'insista pas, se contentant seulement d'un nouveau pouffement énigmatique. Il la laissa finalement tranquille jusqu'à leur arrivée près du Tombeau des Rois.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant