Chapitre 20 - Deuxième partie

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Aucune d'entre elles ne parvint à trouver le sommeil, cette nuit-là. Une fois les larmes taries, elles s'installèrent l'une contre l'autre sur le tapis moelleux devant la cheminée, enroulées dans de lourdes couvertures. Il ne faisait pas froid, mais elles frissonnaient malgré tout, et la chaleur du feu et des édredons leur procurait un semblant de réconfort. Elmande avait fait monter de quoi grignoter ; un plateau garni de gâteaux au son et au miel disposés autour d'une théière fumante. Énith se surprit à avoir faim. Elle n'avait presque rien mangé de la journée. Elle mordit dans une pâtisserie et en proposa une à sa mère, qui refusa d'un signe de la main.

Elles restèrent silencieuses un moment. Le temps, sûrement, de trier leurs pensées éparpillées par le poids du chagrin. Et puis, finalement, elles se mirent à parler. L'une après l'autre, elles évoquèrent la façon dont elles avaient vécu cette journée d'horreur.

Elles s'étonnèrent ensemble de la facilité avec laquelle les intrus avaient pénétré dans le château. Elmande lui expliqua que Lopaï soupçonnait un traître de s'être dissimulé dans ses rangs, facilitant ainsi l'entrée des assassins. Il avait enquêté toute la journée, repassant au peigne fin les allées et venues de chacun des gardes, les questionnant sans relâche, afin de trouver le renégat. Sans succès, pour le moment.

Elle lui apprit également que l'assassin de son père restait silencieux, le regard vide et hagard, peu importe les moyens utilisés pour le faire parler. Sur ces dernières paroles, Énith avala une gorgée de tisane chaude en cherchant ses mots. Elle savait qu'elles s'apprêtaient à aborder un sujet qui ne ferait qu'accroître leurs angoisses respectives. Mais elle n'avait pas le choix.

- Ce n'est pas très étonnant que cet homme ne semble plus vraiment... présent. Il est clair que l'être noir l'a vidé de son essence.

- Vidé de son essence ? répéta sa mère.

- Ce sont les termes utilisés par le Roi Hoaren... Il a dit que les êtres noirs aspireraient nos émotions jusqu'à nous vider de notre essence. Je suppose que l'âme ne survit pas à leur invasion.

- Quel atroce destinée...

- Oui. Pire encore que la mort. Je comprends maintenant ce qu'il voulait dire par là.

- Ce serait donc... Un de ces êtres qui...

- Qui aurait pris possession du corps de l'assassin pour tuer Père. Oui, c'est ça. Enfin... Voulait-il l'entraîner à le tuer, ou a-t-il été simplement attiré par les émotions violentes de cet homme ? Je n'en sais rien.

- Nous ne savons pas si ces choses ont la moindre capacité de raisonner ?

- Non. Mon instinct me dit qu'elles ne font qu'exacerber ce qui existe déjà en nous, mais peut-être que je me trompe. Peut-être qu'elles nourrissent des desseins bien plus sombres...

Elmande se frotta les yeux en grimaçant, comme pour se prouver que tout ceci n'était pas qu'un terrible cauchemar.

- Il faudra en reparler avec le Roi Hoaren, lui dit-elle. Combien ont réussi à atteindre Horenfort, le sait-il ?

- Non, je ne crois pas. Je ne sais pas si tous les hommes qui sont entrés dans le château étaient possédés... Je ne le pense pas. Ils ne peuvent pas être aussi nombreux, pas déjà. Ou alors... Notre situation est bien plus désespérée que nous ne le pensions.

Elmande ne répondit rien, les yeux fixés sur les flammes qui crépitaient dans l'âtre. Énith la surveillait du coin de l'œil, inquiète de sa réaction. Mais comme elle gardait le silence, la jeune fille reprit :

- Ce serait bien que vous lisiez les notes que j'ai prises après mon entretien avec le Roi Hoaren, l'autre nuit. Je vous en ai parlé lors du Conseil, mais j'ai oublié quelques détails... importants. Je ne voudrais pas avoir omis quoi que ce soit d'autre. Et lire tout ceci pour vous aider à comprendre certaines choses sur le Marais. Commencer à les comprendre, tout du moins.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant