Chapitre 19

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– Tu es sûre que tout ira bien, grand-mère ?

Assise dans son fauteuil favori, sa vieille couverture sur les genoux, Saween la regarda avec un sourire déterminé :

– Bien sûr que ça ira, Léonie. Je me suis débrouillée seule toutes ces années, quelques mois de plus ne me font pas peur.

La lueur chaude du feu mourant dans l'âtre dansait sur le visage de la vieille femme, projetant des ombres qui soulignaient ses joues creusées par l'âge et par les soucis. Léonor lui trouvait encore plus mauvaise mine que lors de son retour à l'Arbrelle, une dizaine de jours plus tôt. Elle se sentait terrassée par la culpabilité, autant à l'idée d'avoir ramené ses tourments avec elle qu'à celle de devoir de nouveau l'abandonner. Mais elle n'avait pas le choix.

– Et puis, tu n'es pas vraiment seule, renchérit-elle alors dans une piètre tentative de se rassurer elle-même. Tu as Jolyne.

Saween acquiesça avec un petit hochement de tête.

– Oui. Sa présence ne remplacera jamais la tienne, ma chérie, mais je m'en contenterai en attendant ton retour.

Léonor lui rendit son sourire et se détourna pour terminer de rassembler ses affaires.

Il était tard. La nuit avait enveloppé l'Arbrelle dans son agréable tiédeur. Les fenêtres ouvertes laissaient enfin entrer un semblant d'air frais dans la maisonnette, et Léonor eut la sensation de pouvoir respirer de nouveau. La journée avait été longue.

Le matin-même, Lasthyr l'avait de nouveau contactée. Pour la toute première fois, et malgré les réticences dont elle lui avait fait part, Lasthyr avait cherché le contact d'elle-même. Son désir de parler à Léonor s'était fait si intense, si violent, que Léonor avait laissé échapper sa tasse de thé et manqué de s'écrouler au sol. Elle s'était assise à la table de la cuisine, fébrile, envahie de l'espoir insensé que l'être vert aurait si rapidement découvert la vérité sur la mort de son père. Mais c'était pour une toute autre raison que Lasthyr voulait lui parler.

As-tu toujours l'intention d'aller dans les Montsombres, Léonor ?

La jeune fille fut déconcertée par cette question si soudaine, sans aucune forme d'introduction, ainsi que par le sentiment d'urgence qui agitait l'esprit de Lasthyr. Celle-ci se trouvait dans sa chambre et faisait les cent pas d'un bout à l'autre de la pièce.

Dans... les Montsombres ? répéta-t-elle. Je ne sais pas... Pourquoi ?

Je t'en ai parlé, quelque chose de grave se passe là-bas.

Ah. Oui, c'est vrai.

Léonor dut reconnaître qu'entre les conséquences de son empoisonnement et les révélations au sujet de la mort de son père, les événements malheureux qui se déroulaient dans un duché qu'elle connaissait mal, à des centaines de kilomètres de là, lui étaient passés au-dessus de la tête.

Vous m'aviez dit que je pourrais les aider grâce à mon don, si je le souhaitais, se rappela-t-elle soudain.

C'est exact.

Mais comment ? Que se passe-t-il là-bas ?

Une Porte est restée ouverte entre ton monde et un monde de ténèbres. L'obscurité s'en déverse et pousse les humains à des actes violents. Le chaos va s'installer si personne n'agit. Cela a déjà commencé ; le Duc des Montsombres vient de mourir.

Léonor en resta bouche bée. Elle demeura silencieuse quelques secondes, le temps de s'imprégner de cette information, puis demanda :

Comment le savez-vous ? Je croyais que vous n'aviez plus de contacts avec les humains.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant