Valacturie - T1 Le Tombeau des Rois

Chapitre 6 - Deuxième partie

À présent que la question des fiançailles était écartée, la conversation prit un tour nouveau et se poursuivit sur un ton badin et décontracté. Il l'interrogea sur l'origine de la lame Sesseni, elle le questionna sur sa famille, dont la complexité se révéla bien plus intéressante dans sa bouche que dans les livres d'histoire qu'Énith avait étudiés. Ils échangèrent ensuite leurs impressions sur les questions religieuses qui secouaient le duché, et s'enthousiasmèrent de bon cœur en imaginant les numéros d'acrobates, la musique et les grands feux qui égayeraient la Fête du Solstice d'ici quelques heures.

Énith était surprise de se sentir à l'aise en la présence du jeune homme. Il était si facile de parler avec lui que, malgré leurs débuts laborieux, elle était finalement persuadée qu'elle pourrait réellement apprécier ce garçon. Elle était même soulagée à l'idée qu'elle aurait un ami avec qui discuter et rire pendant la fête, et qu'elle ne serait pas obligée de rester en retrait comme à son habitude, trop mal à l'aise pour se mêler à la foule.

Meben l'interrogea finalement au sujet des manuscrits qui étaient toujours étendus sur ses jambes pliées :

- Alors, de quoi parlent-ils, ces textes anciens ?

- Ils parlent de... En réalité pour être honnête, je n'en sais trop rien, avoua-t-elle en triant les feuilles de papier. Ils parlent de peuples avec des noms étranges, des descriptions étranges, vivant dans des lieux inconnus... Je n'arrive pas à comprendre de quoi il s'agit.

- Comme des histoires pour enfants ?

- Ça pourrait y faire penser, mais non, ce ne sont pas des histoires. La forme est très... scolaire. Comme une étude, ou un rapport.

- Une étude sur des peuples anciens ?

- C'est possible, mais ils ne ressemblent à rien de connu. Je n'ai jamais croisé nulle part mention de tels peuples, de tels êtres, et Hanshen, le Maître Scribe d'Horenfort, est aussi perplexe que moi. Il n'arrête pas de me répéter que j'en saurai plus une fois que j'aurai traduit la totalité du manuscrit, mais je n'en suis pas si sûre, personnellement.

- Et ce texte a été écrit par qui ?

Alors qu'Énith lui expliquait les quelques éléments qu'elle connaissait sur l'origine du manuscrit, Meben se leva et vint s'asseoir à côté d'elle afin de jeter un œil à ces documents mystérieux. Et tandis qu'il commençait à lire les quelques pages traduites par Énith, celle-ci en profita pour lui lancer des regards à la dérobée et l'observer plus attentivement.

De près, Meben faisait moins âgé qu'il n'y paraissait au premier abord, et elle se rappela qu'il n'était son aîné que de quelques mois ; lui aussi avait fêté ses dix-sept ans récemment, et sa jeunesse se percevait encore facilement dans la finesse de sa mâchoire et la fraîcheur de sa peau lisse, joyeusement rehaussée ça et là de dizaines de petites tâches de rousseur.
Maintenant qu'il avait abandonné son air faussement supérieur, Énith devinait sur son visage une certaine douceur et un naturel qui l'auraient bien plus facilement séduite s'il lui avait laissée voir cette part de lui-même dès leur première rencontre. Cela dit, elle le trouvait bien plus attendrissant que séduisant...

Elle détourna alors les yeux et reporta son regard sur le château en contrebas. Elle laissa son esprit divaguer et se demanda si, un jour, elle ressentirait cette attirance amoureuse, cet élan de passion envers quelqu'un.

Depuis le début de sa jeune adolescence, elle entendait les autres filles s'émouvoir et se languir devant des garçons qu'elles trouvaient séduisants. Énith n'arrivait pas à comprendre l'émoi qui semblait alors s'emparer d'elles. Elle n'avait jamais ressenti quelque chose de semblable pour qui que ce soit, et une part d'elle-même jalousait ces filles qui tombaient si facilement amoureuses, tandis que l'autre les trouvait ridicules et frivoles. Elle ne savait laquelle de ces deux réactions était la bonne, et surtout, elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander si elle était... normale.