Elle se réveilla une nouvelle fois au beau milieu de la nuit, la bouche sèche, ses cheveux courts collés à son front par la transpiration. La fièvre avait repris le dessus une fois la nuit tombée, mais grâce à la deuxième tasse de tisane que sa grand-mère lui avait fait avaler, son corps semblait finalement retrouver une température normale. Léonor tendit son bras engourdi vers le verre d'eau laissé sur la table de chevet et le porta à ses lèvres. Ses mains tremblaient toujours et elle renversa la moitié du contenu sur l'édredon en jurant, mais elle réussit malgré tout à apaiser sa soif.
Elle se rallongea. Par la petite porte restée entre-ouverte s'infiltraient la lueur vacillante d'une bougie et le bruit grinçant du fauteuil à bascule de sa grand-mère, ainsi que ses sanglots étouffés. La vieille femme ne s'était pas couchée. Depuis quand n'avait-elle pas dormi ? Léonor sentit son cœur se serrer au son du chagrin de sa grand-mère. Elle aurait voulu se lever et la prendre dans ses bras, mais la simple idée de se mettre debout lui mettait le cœur au bord des lèvres. Elle avait encore besoin de repos.
Mais alors que son esprit, libéré de la fièvre, semblait retrouver un peu de sa vivacité, le sommeil refusa de revenir la libérer de ses tourments.
Sa raison avait beau contester l'idée que quelqu'un avait réellement essayé de la tuer en empoisonnant la crème fouettée, son cœur, son instinct, lui assuraient le contraire. Sa grand-mère avait raison. Et malgré la foule de questions sans réponse que cela soulevait, Léonor commençait à entrevoir un sens à tout cela.
Ses rêves n'étaient pas réellement des rêves, ce qui expliquait pourquoi elle s'en réveillait toujours plus fatiguée que la veille. Son père n'était pas un homme fou d'amour et de chagrin, il s'était seulement laissé entraîner trop loin par ces songes étranges, tout comme elle savait qu'elle risquait de le faire, tant ce monde et ces créatures évanescentes la fascinaient.
Et il ne s'était pas donné la mort. Quelqu'un l'avait tué. Et quelqu'un, aujourd'hui, essayait de la tuer également.
Etait-ce la même personne ? Le meurtrier de son père se trouvait-il toujours dans la Cité de L'Arbrelle ? Comment cette personne pouvait-elle avoir eu connaissance du don de son père et du sien, de leur faculté de communiquer avec cet autre monde ? Son père avait-il été trop imprudent, en avait-il parlé à d'autres personnes que sa grand-mère ? Le meurtrier savait-il que ce don pouvait être héréditaire, et avait donc décidé d'éliminer sa fille ? Pourquoi donc avoir attendu si longtemps ?
Et surtout... Pourquoi ? Pourquoi vouloir les éliminer ? Pourquoi redouter que des personnes puissent communiquer avec ce peuple à la peau verte ? Quelle menace pouvait-il représenter ?
En cet instant, Léonor n'était certaine que d'une seule chose ; même si sa grand-mère en doutait encore, ces créatures existaient réellement. Elle avait, sans savoir pourquoi ni comment, la faculté de lier son esprit et ses pensées à l'une de ces créatures, de voir à travers ses yeux, de ressentir les mêmes choses qu'elle. Cette créature... Elle avait entendu son nom pour la première fois, lors de son dernier rêve. Elle fouilla dans son souvenir, mobilisant toute sa concentration. Les paupières closes, elle reconstitua le déroulé de son rêve, depuis le moment où elle avait dévalé les marches du grand escalier transparent. Elle essaya de se replonger dans cet instant, avec autant de force que si elle s'était trouvée là-bas en chair et en os, et alors son nom lui revint. Elle le murmura du bout des lèvres :
- Lasthyr...
Ce nom lui était revenu en mémoire avec une telle force, une telle intensité qu'elle se demanda comment elle avait pu l'ignorer. Ce nom faisait partie d'elle. Elle l'avait toujours connu.
C'était... son nom.
Elle rouvrit les yeux. Mais au lieu de l'obscurité enveloppante d'une nuit dans l'Arbre Sacré, ce fut l'éclat d'un soleil bleu au-dessus de sa tête qui l'accueillit. Elle se trouvait sur le même balcon qu'elle avait vu lors de son tout premier rêve, plus de deux mois auparavant. De nouveau, elle n'était plus dans son propre corps. Elle avait rejoint la conscience de Lasthyr. Mais pour la première fois, elle ne dormait pas. Pour la première fois, elle arrivait parfaitement à distinguer ses propres pensées de celles de la créature verte.
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Valacturie - T1 Le Tombeau des Rois
FantasyLorsqu'Énith, fille du Duc des Montsombres, découvre un mystérieux manuscrit depuis longtemps oublié, elle ne se doute pas qu'il va l'entraîner sur les traces de civilisations inconnues et de créatures fascinantes. Quant à Léonor, jeune musicienne i...