Chapitre 15 - Deuxième partie

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Cette nuit-là, malgré le semblant d'apaisement et de confiance renouvelée que lui avait procurée la conversation avec son père, Énith ne parvint pas à trouver le sommeil. Elle tournait et se retournait, faisant valser les draps et grincer les pieds de son vieux lit. Elle poussa un grognement agacé, retapa son oreiller de plumes et se tourna sur le côté pour faire face à la fenêtre qu'elle avait laissée ouverte.

L'orage s'était calmé et la nuit était douce. La brise légère lui apportait des relents de terre mouillée et la lune faisait luire les pierres encore humides du rempart Sud et des toits des maisons qu'elle apercevait au loin. La nuit était silencieuse, en-dehors des bruissements des feuilles doucement secouées par le vent. Énith aurait voulu se laisser bercer par ce son hypnotisant et la quiétude de l'obscurité. Mais elle n'y parvenait pas.

En la raccompagnant à l'intérieur du château quelques heures plus tôt, son père avait de nouveau abordé la question du départ de la délégation. Il s'était excusé de la sévérité de son refus, mais ne semblait pas le moins du monde prêt à revenir sur sa décision. Tout était déjà prêt, lui avait-il assuré, le départ était prévu pour dans deux jours. Un pigeon avait été envoyé à Châtelroy pour prévenir le roi de leur arrivée, précisant spécifiquement que Briam ferait lui-même partie du voyage.

En apprenant le départ imminent de son père, même si elle s'y était attendue, Énith avait senti son estomac se serrer. Ce serait très certainement pour elle l'occasion de faire ses preuves et de seconder sa mère à la tête du duché. La situation actuelle ne lui laisserait aucune place à l'erreur. Elle avait beau se répéter qu'elle pouvait y arriver, que son père et sa mère avaient confiance en elle, qu'elle saurait se montrer ferme et prendre en main ses responsabilités, son cœur semblait ne pas vouloir cesser de cogner trop fort contre sa poitrine.

Elle ferma les yeux et remonta la couverture sous son menton, espérant trouver dans la chaleur des draps le réconfort nécessaire au sommeil. Mais l'éclat argenté de la lune brillait trop fort derrière ses paupières closes. Elle rouvrit les yeux, s'apprêtant à se lever pour aller refermer les rideaux, et s'immobilisa. La lune était dissimulée derrière l'épaisse couche de nuages qui avaient réinvesti le ciel nocturne. Ce n'était pas d'elle qu'émanait la lumière presque aveuglante qui l'empêchait de dormir, mais du Renard argenté qui se tenait immobile, assis au pied de son lit. Ses yeux blancs et profonds fixés sur elle semblaient l'interroger. Le souffle court, elle murmura :

– Sire Hoaren... Vous êtes venu.

– Oui, Énith. J'ai entendu votre appel.

– Pourquoi n'êtes-vous pas apparu tout à l'heure, au temple ?

– Je ne pouvais pas. Les êtres des ténèbres nous attaquent sans cesse et toute notre énergie est tournée vers eux. Je devais rester au tombeau avec les Anciens pour tenter de les repousser.

– Y êtes-vous parvenu ?

– Oui, pour l'instant. Je crois.

Il tourna son immense tête vers la fenêtre ouverte et reprit dans un souffle :

– Mais il est possible que certains d'entre eux aient réussi à nous échapper.

– Vous voulez dire... Ils auraient franchi la Porte ?

– C'est possible.

Énith sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine. Des êtres des ténèbres, ici à Horenfort ? Elle ne pouvait imaginer ce dont ils étaient capables. Elle ne voulait pas l'imaginer. Combien étaient-ils ? A quoi ressemblaient-ils ? Saurait-on les reconnaître ? Pouvait-on seulement les voir ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit, mais elle savait que le Renard n'avait de nouveau que très peu de temps à lui accorder. Aussi se força-t-elle à ne poser qu'une question, encore plus fondamentale :

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant