Chapitre 14 - Première partie

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L'air frais du petit matin et l'odeur familière qui émanait de l'Arbre Sacré ravirent les sens de Léonor lorsqu'elle ouvrit la fenêtre de la cuisine. Elle ferma les yeux un instant et inspira profondément, lentement, remerciant les Esprits d'être encore en vie pour apprécier la douceur d'une matinée d'été.

Elle sourit pour elle-même et se retourna vers la petite marmite fumante qu'elle avait suspendue au-dessus du feu. Saisissant un torchon au passage, elle éloigna l'eau frémissante des flammes et y jeta quelques brins de thé. Puis elle s'installa près du foyer, sur les pierres de l'âtre, et laissa le tout infuser quelques instants. Des gestes simples, familiers, rassurants, qui lui donnaient un semblant de courage et de confiance avant d'affronter cette journée.

Une fois le thé infusé, elle attrapa un bol et se servit généreusement, mais lorsqu'elle voulut le porter à sa bouche, ses mains furent prises d'un tremblement violent et elle renversa la moitié du liquide brûlant sur ses genoux. Elle se retint de crier et jura à mi-voix, frustrée de constater que ses mains subissaient toujours les effets insidieux du poison. Elle avait beau se sentir mieux, les tremblements compulsifs de ses membres lui rappelaient de façon aléatoire que quelqu'un avait tenté de mettre fin à ses jours.

Depuis l'intervention de l'être aux yeux rouges et sa guérison miraculeuse,Léonor avait pu retrouver un semblant de vie normale, et durant ces deux derniers jours, elle avait tenté de reprendre ses marques, de désengourdir ses muscles, et de reprendre le contrôle de son corps. Celui-ci répondait mieux encore qu'elle ne l'aurait cru, malgré ces accès de tremblements intempestifs qui la rendaient désagréablement maladroite. Allait-elle devoir les supporter toute sa vie ? Était-ce la seule conséquence à son empoisonnement contre lequel la créature inconnue n'avait rien pu faire ?

Elle s'en inquiétait, bien évidemment. Mais elle refusait de s'apitoyer sur son sort. Elle aurait dû mourir, et elle se sentait en pleine forme. Elle avait été sauvée par un être incroyable qui avait traversé les mondes, les Esprits seuls savent comment, pour la guérir. Elle avait largement de quoi se sentir reconnaissante, et ce n'étaient pas quelques tremblements incommodes qui allaient ternir son soulagement.

Léonor avala d'un trait la dernière gorgée de thé chaud et se releva en silence pour aller reposer son bol sur la table. Puis elle se retourna vers la porte de la chambre, l'ouvrit délicatement, et grimaça en entendant le bois grincer sous sa main. Elle passa la tête à travers l'entrebâillement.
Sa grand-mère dormait toujours à poings fermés.

Depuis que Léonor avait retrouvé des forces, la vieille femme s'était révélée épuisée, et c'était elle désormais qui gardait le lit une grande partie de la journée. Sous les couvertures, sa poitrine se soulevait et s'abaissait régulièrement au rythme de sa respiration. Elle dormait paisiblement, et Léonor en fut légèrement soulagée, mais ne put se défaire du sentiment de culpabilité qui l'assaillait à chaque fois qu'elle posait le regard sur sa grand-mère. Elle avait décidé de rester une semaine pour s'occuper de la vieille femme, et non pour devenir un fardeau. Elle ne lui avait apporté que problèmes, inquiétudes, et nuits d'insomnie, alors que Saween avait besoin de repos et de quelqu'un pour veiller sur elle.

Léonor avait beau se répéter qu'elle n'y était pour rien, que ce n'était pas sa faute si quelqu'un avait tenté de l'empoisonner, elle sentait sa gorge se serrer à chaque fois qu'elle pensait au poids qu'elle avait dû représenter pour sa grand-mère pendant ces quelques jours.

Peut-être aurait-il mieux valu qu'elle reste à l'écart...

Elle referma doucement la porte en secouant la tête pour se rabrouer elle-même. Il ne servait à rien de se blâmer. Sa grand-mère n'aurait pas apprécié qu'elle ait de telles pensées, elle le savait. Elle préférait mille fois user son énergie à veiller sa petite fille malade que se laisser périr de chagrin à l'idée de ne plus jamais la revoir. C'était ses propres mots, prononcés d'une voix étranglée la veille au soir, lorsque Léonor avait tenté de s'excuser pour la fatigue qu'elle lui avait causée. La jeune fille s'efforçait à présent de se raccrocher à cette phrase et au regard rempli d'affection de la vieille femme pour ne plus se laisser aller à se culpabiliser ainsi. Sans grande efficacité...

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant