- Tout est prêt, mon ami ?
- Presque, Maître.
- Fort bien.
Le vieil homme se rassit avec raideur sur le tabouret de bois. Son homme de main insistait pour lui trouver un siège plus confortable, mais il n'y tenait pas. La douleur le maintenait alerte, lui rappelait sa fin proche et l'urgence de sa mission. Il ne pouvait pas y renoncer.
Les mains crispées sur ses genoux, il observa son disciple passer en revue la multitude d'armes étalées sur la grande table de bois. Des épées, poignards, haches, dagues et autres lames, usées ou flambant neuves, attendaient patiemment les mains qui viendraient les empoigner. Le soldat en saisit une au hasard, tâta le tranchant de la lame avant de sortir une pierre pour l'affûter. La lueur des torches se refléta sur l'acier, éblouissant le vieil homme un bref instant. Il observa son disciple manier le sabre avec dextérité, et imagina le sang des impurs qui bientôt en jaillirait. Cette pensée le fit frémir d'exaltation. Ses plans se déroulaient à la perfection.
Bientôt, les Esprits s'apaiseraient. Bientôt, ils seraient prêts à l'accueillir dans leur divin Royaume avec toutes les récompenses qu'il méritait.
- Combien de fidèles se sont portés volontaires ? interrogea-t-il.
- Près d'une cinquantaine, Maître. J'en ai écarté quelques-uns, trop jeunes ou trop vieux, qui n'auraient été qu'un embarrassement. Mais la plupart sont vifs et aptes à se battre. Je les ai bien entraînés.
- Fort bien, fort bien.
- Ils ne vont plus tarder, Maître.
En effet, quelques instants plus tard, la porte de bois s'ouvrit en grinçant, laissant apparaitre des visages encapuchonnés de rouge. Ils entrèrent sans prononcer un seul mot, respectant le pieux silence de leurs rencontres, comme ils l'auraient fait dans la petite clairière. La proximité des Esprits au cœur des éléments et de la Nature manquait cruellement au vieillard, qui se sentait étriqué dans cette pièce mal éclairée. Mais l'organisation de ses plans avait nécessité quelques ajustements. Il est difficilement envisageable de transporter en toute discrétion une cinquantaine d'armes à travers les sentiers forestiers.
Mais le Maître ne doutait pas que même ici, dans cette salle, dans les pierres des murs, la terre battue sous leurs pieds, les flammes des torches, les Esprits étaient bel et bien présents. Il leur adressa une brève prière de gratitude silencieuse tout en observant les visages qui s'offraient à lui. Des hommes et des femmes par dizaines, qui attendaient ses commandements.
Il en reconnut certains, en particulier les jeunes Ambroise et Sami en lesquels il portait de grands espoirs. D'autres ne lui disaient rien, mais il s'en moquait. Tous n'étaient là que pour servir, au prix de leur vie pour certains, la gloire de l'Anima. Les Esprits reconnaitraient leurs noms et leurs visages lorsqu'ils les accueilleraient parmi eux. Peu importait que lui le fasse. Il n'était qu'un messager. Et c'est par cette idée qu'il entama son discours.
- Enfants des Esprits, votre présence ici cette nuit remplit mon cœur de fierté. Vous voir prêts à combattre, unis et déterminés, me ravit. Mais ce n'est pas moi que vous devez chercher à contenter. Non, je ne suis qu'un humble messager, qu'un pion au service de la volonté supérieure des Esprits. Ce sont eux que vous devez chercher à satisfaire. Ce sont eux que nous devons apaiser, par nos actions, par nos sacrifices. L'ennemi reculera bientôt face au courage de vos épées, face à la force de votre foi. Réjouissez-vous, car bientôt la peur, la colère, la haine et les ténèbres qui nous menacent ne seront plus qu'un lointain souvenir. Approchez, mes enfants, et choisissez votre arme. Que les Esprits vous guident et vous soufflent laquelle sierra à votre main.
Les disciples s'approchèrent de la table. Tandis qu'ils effleuraient les armes, les soupesaient, les éprouvaient, le Maître tournait autour d'eux en poursuivant son monologue unificateur.
Dans la solennité presque hypnotique de cet instant, c'est à peine s'ils s'aperçurent que la température avait soudain chuté dans la pièce. C'est à peine s'ils remarquèrent la vapeur qui s'échappait de leurs souffles et la puissance des flammes qui s'amenuisait. Aucun d'eux ne vit les ombres rampantes qui se faufilaient à travers les interstices de la vieille porte et coulaient entre leurs pieds. Aucun d'eux ne broncha lorsqu'elles s'emparèrent de l'un d'entre eux, roulèrent autour de son corps et pénétrèrent en lui par chacun des pores de sa peau.
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Valacturie - T1 Le Tombeau des Rois
FantasyLorsqu'Énith, fille du Duc des Montsombres, découvre un mystérieux manuscrit depuis longtemps oublié, elle ne se doute pas qu'il va l'entraîner sur les traces de civilisations inconnues et de créatures fascinantes. Quant à Léonor, jeune musicienne i...