Chapitre 18 - Deuxième partie

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Comment était-ce possible ?

Sans se laisser le temps de s'appesantir sur cette question, elle fit volte-face, laissa tomber les feuilles volantes sur le sol de sa chambre et se précipita vers sa table de chevet pour en tirer les poignards Sesseni qu'elle gardait toujours à proximité. Anaïd la saisit soudain par les épaules.

– Mademoiselle, non ! Vous ne pouvez pas y aller, c'est de la folie !

– Laisse-moi passer, Anaïd ! ordonna-t-elle d'un ton brusque.

– Nous ne savons pas ce qui se passe, laissez donc la garde s'en occuper ! Vous devez rester cachée ici, avec moi ! Je vous en prie, Mademoiselle !

– Non ! répliqua la jeune fille avec force. Crois-tu que mon père restera terré dans sa chambre lorsqu'il saura ce qui se passe sous son toit ? Crois-tu qu'il se laissera dominer par la peur et la lâcheté ? Je suis la future duchesse, Anaïd ! Il est hors de question que je reste cachée pendant que ma maison se fait attaquer.

D'un coup d'épaule elle écarta sa suivante qui se résolut à la laisser passer, non sans lâcher un petit gémissement paniqué.

– Enferme toi dans ta chambre, Anaïd, ordonna Énith sans se retourner.

Elle se mit à courir le long du couloir, ignorant la peur qui lui serrait l'estomac autant que les regards suppliants des domestiques qui fuyaient en sens inverse. Une arme dans chaque main, jurant intérieurement contre sa robe noire trop volumineuse qui entravait ses mouvements, elle dévala les escaliers étroits qui menaient vers le grand hall. 

Les bruits se rapprochaient. Elle distinguait très clairement désormais les cris enragés du combat, le son strident des épées qui s'entrecroisaient, et les hurlements de douleur d'hommes blessés. Alors qu'elle parvenait au bout du couloir qui débouchait sur la galerie voûtée surplombant le grand hall, elle ne put s'empêcher de ralentir le pas. Cherchant son souffle, tentant vainement de raffermir l'emprise de ses doigts tremblants sur ses poignards, elle s'efforça à faire le vide dans son esprit.

Elle avait été entraînée au combat, comme sa mère, comme toutes les femmes Sesseni depuis la nuit des temps. Elle n'avait jamais eu à utiliser ses lames contre quiconque, mais elle savait comment le faire. Elle pouvait le faire. En théorie.

Mais lorsqu'elle s'approcha de la rambarde de pierres, ses jambes refusèrent de la porter plus loin. La scène qui se déroulait en contrebas était d'une telle violence qu'elle lui souleva le cœur et l'estomac, et elle ne put rien faire d'autre que se tenir là, les mains tremblantes et les yeux révulsés d'horreur.

Une vingtaine d'hommes et de femmes vêtus de rouge de la tête aux pieds, l'épée au poing et le visage camouflé par un foulard écarlate s'étaient introduits dans le château et défiaient les quelques gardes en poste pris par surprise. Ces derniers se défendaient bravement mais, malgré les renforts qui arrivaient au compte-gouttes, ils étaient dépassés et ne savaient plus où donner de la tête. L'un d'eux était blessé au bras gauche, qu'il tenait replié contre lui, et se défendait tant bien que mal contre trois assaillants. Un autre poussa un hurlement étouffé tandis qu'une lame lui transperçait l'abdomen et que le sang refluait dans sa gorge. Son corps s'affaissa alors et rejoignit les autres cadavres qui jonchaient déjà le sol. Trois gardes gisaient là, inertes, ainsi que plusieurs domestiques qui ne devaient pas avoir eu le temps de s'enfuir à temps. Énith essaya de déglutir mais ne put refouler le goût acre de bile qu'elle avait dans la bouche.

Deux hommes en rouge réussirent à s'extirper du combat et à s'engouffrer dans le couloir qui menait aux cuisines. Des cris aigus ricochèrent contre les murs et envahirent le grand hall tandis qu'il ressortaient en trainant deux femmes par les cheveux. Énith reconnut avec horreur Higride, la cuisinière, une femme replète aux cheveux grisonnant qui lui offrait toujours des friandises en douce lorsqu'elle était enfant, ainsi que sa fille, une jeune femme douce qui l'aidait en cuisine depuis moins de deux ans. Énith s'aperçut honteusement qu'elle ignorait toujours son prénom.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant