Chapitre 9 - Deuxième Partie

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- Des babillages primitifs et obsolètes ? Il a vraiment dit ça ?

Meben regardait son amie, les yeux écarquillés, incrédule. Énith ne put se retenir de rire devant sa mine stupéfaite.

- Vraiment ! Je te raconte pas le bond qu'ont fait les Sages. J'ai cru qu'ils allaient l'égorger.

- Ils sont supposés être pacifiques pourtant, non ?

- Il faut croire qu'ils ont leurs limites !

Le jeune homme s'esclaffa en secouant la tête, comme s'il n'arrivait pas à imaginer la scène.

- J'aurais tellement voulu voir ça !

Il se leva pour aller se servir une part de gâteau aux framboises, et Énith le suivit du regard, à la fois amusée et perplexe. Elle était ressortie de la salle du conseil angoissée, effrayée, tendue, et les réactions fascinées et amusées de Meben face à son récit la déstabilisaient un peu. Elle avait du mal à concevoir qu'on puisse prendre tout cela à la légère. Mais quelque part, être capable de rendre la situation risible était drôlement rafraîchissant.

Ils s'étaient installés dans un petit salon réservé aux jeux et autres divertissements pour les invités. Des petites tables rondes entourées de fauteuils au revêtement fleuri étaient disposées dans tous les coins de la pièce, abondamment éclairée par de larges et hautes fenêtres qui donnaient sur les jardins à l'Ouest. La lumière inondait la salle, et les deux jeunes gens avaient déplacé leurs fauteuils près de l'une des fenêtres pour apprécier la vue sur les magnifiques rosiers en fleur. Les jardins étaient si beaux sous l'éclatant soleil d'été, il aurait été facile d'oublier la menace des ténèbres qui menaçaient le monde. Énith laissa sa tête reposer contre le dossier de son siège et se rembrunit à cette pensée.

Meben lui tendit une assiette puis se rassit à sa place. Lorsqu'elle croisa son regard, elle sut qu'il avait deviné son humeur mélancolique. Mais le sourire empathique du jeune homme se transforma en grimace exagérément inquiète lorsqu'il plaisanta :

- Allons, si tu fais cette tête, mon oncle va croire que je ne suis pas de bonne compagnie !

Il fit un mouvement de tête vers l'homme qui se tenait à l'autre bout de la pièce et qui les gardait à l'œil. Il avait été désigné par son frère, le Duc des Lacs-Blancs, pour veiller à ce que son fils se conduise dignement et ne commette pas d'impair auprès de la jeune duchesse. Il ne les laissait jamais seuls et surveillait à distance les faits et gestes de son neveu. C'était un homme sec au visage creusé, de qui n'émanait aucune douceur. Énith n'appréciait guère sa présence et son regard toujours braqué sur eux, mais elle voyait que Meben s'efforçait d'en rire et s'était résolue à faire de même. Elle sourit au jeune homme, consciente qu'il avait tenté avec cette plaisanterie de la tirer de ses sombres pensées.

La bouche encore pleine de la bouchée de gâteau qu'il venait d'enfourner, il la relança :

- Alors, que s'est-il passé ensuite ? Johol a réussi à sortir vivant malgré la colère des Sages ?

- Oui, mes parents ont fini par intervenir et leur ordonner d'arrêter.

- J'imagine bien que ton père sait se montrer autoritaire quand c'est nécessaire. Il n'a pas l'air très commode.

- À vrai dire c'est plutôt le calme froid de ma mère qui a remis les idées en place de tout le monde. Elle lève rarement la voix, pourtant quand elle parle elle impose le silence. Je l'admire pour ça.

Elle poussa un soupir en poursuivant :

- Enfin, j'ai essayé de l'imiter et de m'imposer pour me faire entendre. Je voulais leur parler des manuscrits depuis le début de la séance mais je n'arrivais pas à en placer une.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant