Chapitre 20 - Première partie

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- Vous devriez rester couchée, Mademoiselle. Il est tard, et vous avez grand besoin de dormir.

Énith ignora les protestations de sa suivante, sans même lui accorder un regard. Elle ne voulait pas poser ses yeux sur ceux rouges et bouffis d'Anaïd. Ils ne faisaient que lui rappeler sa propre peine.

Non, elle ne pouvait pas rester couchée plus longtemps. Elle avait passé la journée au lit, sur ordre du médecin. Après avoir soigné son épaule meurtrie, il s'était assuré qu'on ne la laisserait pas quitter sa chambre. Elle était trop sous le choc, avait-il dit. Elle avait besoin de retrouver ses esprits. Énith ne l'avait pas contredit, trop bouleversée par la matinée cauchemardesque que le château avait connue. Elle s'était laissée aller à la somnolence, dorlotée par Anaïd qui lui apportait du bouillon et des infusions à ne plus savoir qu'en faire, et qui lui caressait les cheveux lorsqu'elle était soudainement secouée de sanglots incontrôlables.

Elle avait fermé les yeux en espérant si fort émerger d'un terrible cauchemar, mais chaque réveil n'était qu'un atroce rappel à la réalité, aussi violent et douloureux qu'un coup de dague en plein cœur. Énith sentait son souffle se dérober chaque fois qu'elle revoyait l'image de son père mort sous ses yeux, et elle s'enroulait dans ses couvertures avec la sensation que la douleur ne s'estomperait jamais.

La journée s'était écoulée ainsi, entre les larmes, la torpeur, et les quelques bribes de nouvelles qu'elle réussissait tant bien que mal à soutirer à sa suivante. Anaïd lui avait ainsi appris que l'assassin de son père n'était pas mort. Il avait été enfermé dans les geôles et interrogé sans relâche tout l'après-midi. Quels aveux avait-on réussi à lui faire cracher, Énith l'ignorait. Mais elle ne doutait pas que le capitaine Lopaï saurait mettre tout en œuvre pour le faire parler, même s'il devait pour cela avoir recours aux plus ignobles tortures.

Des renforts avaient été appelés dans tout le duché afin de durcir la sécurité à Horenfort. Après l'attaque du château et celle du Divinaire la nuit précédente, sans compter les différentes rixes et émeutes qui secouaient la ville, les soldats ne savaient plus où donner de la tête. L'agitation régnait au sein de la garde ducale et de l'armée ; qu'une bande d'assassins organisée ait réussi à pénétrer dans le château était un signe de faiblesse, que Les Serviteurs n'avaient eu aucun mal à identifier et à exploiter rapidement. Énith ne comprenait pas comment une telle chose avait pu se produire. L'attaque contre le Divinaire avait-il servi de diversion afin de vider le château d'une partie de sa garde ? Etait-ce donc si ridiculement facile de tromper la vigilance de la famille ducale et de son armée ?

Et lorsqu'Anaïd lui avait rapporté que sa mère s'était enfin retirée dans ses appartements, épuisée, la jeune duchesse avait quitté la chaleur réconfortante de ses draps pour aller la retrouver.

- Vous devriez accorder à Madame la Duchesse un peu de répit, Mademoiselle, poursuivit Anaïd avec entêtement. Attendez le matin pour aller la voir...

Énith noua les liens de sa robe de chambre en soie crème et soupira :

- Non, Anaïd. Je te remercie de te soucier de nous, mais j'ai besoin de la voir. Et je sais qu'elle a besoin de moi également.

Elle se saisit d'une bougie, ouvrit la porte de sa chambre, et tomba nez à nez avec un garde qui faisait le pied de grue devant ses appartements. Il avait les traits tirés et le visage livide de fatigue, mais il se mit aussitôt au garde à vous.

- Avez-vous besoin de quelque chose, Mademoiselle ? l'interrogea-t-il avec une pointe de surprise dans la voix.

- Je... Non. Je n'ai besoin de rien. Que faites-vous devant ma porte ?

- Nous avons reçu l'ordre de monter la garde devant vos appartements et ceux de Madame votre mère toute la nuit, Mademoiselle.

- Je vois. Seulement j'ai décidé d'aller voir ma mère dans sa chambre. Vous pouvez en profiter pour piquer un somme, je suppose.

Valacturie - T1 Le Tombeau des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant