Chapitre 1

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Yuna

J'avais une idée précise de ce que je voulais dans la vie. Une carrière en béton armé, un chemin tout tracé vers une vie trépidante, et j'avais même envisagé de prendre un chat dans un refuge. Ce que j'avais aussi mis dans mes plans, c'est de ne dépendre de personne, d'être libre et de m'assumer toute seule comme une grande. Ma vie ne commence qu'à peine, évidemment, je rentre à la fac après le lycée, mais je sens que plus ça approche, plus je ne contrôle plus mon rêve.

Mes nuits sont tout sauf reposantes. Dès que je ferme les yeux, je rêve de truc que je ne veux pas. Si seulement c'était Ty Dolla Sign* qui habitait mes nuits. Déjà parce que c'est mon chanteur préféré et ensuite parce qu'il est canon. Mais non. J'ai ce foutu Jupiter à la con, tout le temps. Sans arrêt. Les antidépresseurs n'y font rien, ils sont là pour réduire les crises d'angoisses. Vous êtes sympa les gars mais si vous pouviez éradiquer la tumeur Elijah de mes rêves, je m'en porterai bien mieux. À cause de lui, les douches froides font quasiment partie de ma routine quotidienne. L'horreur. Après la révélation fracassante sur ma virginité, je suis restée dans une catatonie totale de quatre jours. Jusqu'à ce que j'en parle à Onyx, mon psy. L'ironie, c'est qu'il est copain avec l'autre cinglé. Vous le sentez vous aussi le goût si caractéristique de la bouse ? Ouais. Moi aussi.

Je n'ai pas prononcé un mot pendant quatre jours, à peine dormi, à peine mangé. J'ai passé mon temps à pleurer, ça par contre, j'en avais de la ressource. Et que l'univers m'en soit témoin. Si Suki, ma sœur aînée, n'avait pas été là, j'en aurais pas vu le bout. Elle m'a forcé à reprendre une vie normale, à me sortir du lit, à me laver. Le béaba du commun des mortels. Il m'a fallu prendre sur moi, faire semblant ou pas, être un automate. Mais elle était là, à chaque étape de ma rééducation mentale. Et le monde voudrait que je m'inflige une vie de doutes, de peurs, et d'angoisses ? Sérieusement ? À ce rythme, c'est un ulcère que je vais attraper. Ou bien je serai enfermée dans une pièce capitonnée avec une camisole et des ratons laveurs dessus.

J'en suis déjà à ma troisième tasse de café, et je relis pour la troisième fois la phrase. Rien à faire, je suis entièrement hermétique aux maths aujourd'hui. Et à la science. Au français aussi. Et à peu près toutes les matières. Mon cerveau refuse d'enregistrer la moindre information. Il est adorable, jamais là quand on en a besoin. C'est un nom masculin, évidemment qu'il ne sert à rien. Je jette mon crayon de frustration. Il n'y a que le café qui me comprend, et c'est très simple. Son agent actif est la caféine, féminin donc dans mes petits papiers.

Ah mais je vous ai pas raconté ! Je vais vous mettre à la page de ce pas. Après mon ellipse de quatre jours, j'essayais de refaire surface, tant bien que mal. Ma culpabilité était si grande que j'ai bien cru qu'elle allait m'engloutir. Je m'en voulais pour la peine que je lui avais infligée, je détestais le voir aussi mal. Ça me broyait de l'intérieur. Même respirer me faisait culpabiliser. Je n'aurais pas dû lui cacher ma vertu, mais je l'ai quand même fait. J'en parle à l'imparfait, mais je vais y venir. May, mon amie d'enfance, a supporté mes jérémiades tous les soirs sur WhatsApp. J'aurais pu me noyer dans ma propre morve sans elle. Je n'ai pas parlé à mes parents parce que j'ai fait comme si tout allait bien. Mais une fois la porte de ma chambre fermée, la réalité était aussi brutale que cruelle. Je revois la scène, les cris, la colère, ses yeux luisants de haine, et mes pleurs. Oui, j'ai beaucoup pleuré ces derniers temps, je n'arrivais pas à faire autre chose. Comprenez moi. Je me suis blessée aussi. 

Lassés par la désolation de mon être, mes amis m'ont traîné dehors pour que je puisse me changer les idées. Oui, ils sont en or massif, j'ai de la chance. C'est, tous ensemble, que nous avons trouvé le chemin du bar. Dee, mon rayon de soleil et accessoirement la cousine de Jupiter, Suki, ma merveilleuse sœur, Rita la super copine de ma merveilleuse sœur, et Devon, mon faux super chéri. Il est gay, et dans cette ville, il ne veut pas que ça se sache. Alors on fait semblant jusqu'à la fac. C'est le plan, et merci mon ange gardien, il est parfait.

À la lisière de MoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant