Je suis raide comme la justice. Cette petite excitation mêlée au picotement familier de l'appréhension bouillonne dans mon ventre. Des années qu'une montagne de questions sans réponses s'accumulent au sujet de mon géniteur et aujourd'hui, je vais enfin en obtenir. J'ai hâte mais d'une certaine façon, j'ai aussi peur.
Tu n'as pas à avoir peur, me rappelle la voix de Betty dans ma tête. Avoir peur de l'avenir, c'est avoir peur de toi-même car ton avenir dépend de tes choix.
Maman s'éclaircit la gorge. Je pose sur elle un regard insistant pour l'inviter à prendre la parole.
— Je suis désolée. D'abord, je veux que tu le saches. Je suis vraiment désol...
— Viens-en aux faits.
Ma voix est tranchante comme une lame de couteau. Le visage de ma mère se décompose ; je tente de rester impassible même si voir la femme qui m'a donné la vie dans cet état ne me rend pas indifférente.
— Il y a quelques années, reprend-elle enfin. Dix-neuf ans pour être précisé, j'ai rencontré ton... père. Robert. On est restés huit mois ensemble, il était presque tout le temps dans mon appartement, on vivait quasiment ensemble.
— C'était du sérieux, alors ? la coupé-je avec ahurissement.
— C'est ce que je pensais, répond-elle le regard vague, comme perdue dans ses souvenirs. Je le sentais un peu distant vers la fin, mais je m'accrochais tout de même. J'étais vraiment folle de lui, tu sais. Il avait tout pour lui : la beauté, l'ambition et une intelligence sans bornes. Je pensais qu'on avait un avenir mais un jour, il m'a expliqué que c'était terminé. Une heure plus tard, il était parti et je ne l'ai plus jamais revu. Jusqu'à aujourd'hui.
— Pourquoi ne lui as-tu pas dit que tu étais enceinte ?
— Je venais de le découvrir, c'était récent. Je cherchais un moyen de le lui annoncer mais j'ai préféré ne rien dire lorsqu'il m'a quitté. Je ne voulais pas que nous soyons un fardeau pour lui : il disait que la vie de couple n'était pas pour lui et qu'il souhaitait se plonger dans le travail et rien d'autre. J'ai donc décidé que ce ne serait que toi et moi.
Les larmes me picotent les yeux. Je comprends enfin ma mère. Je réalise enfin que tout s'est enchaîné bien trop vite pour elle et que lorsqu'elle n'était qu'une étudiante, elle a du prendre une décision radicale, en l'occurrence garder son bébé, quitte à m'élever seule. Et elle a réussi avec brio : je n'ai jamais manqué de rien et au final, elle a réussi à devenir avocate.
— Je suis désolée, avoué-je. J'ai été injuste avec toi, vraiment.
Un sourire attendri éclaire le visage de ma mère même si ses yeux débordent de larmes.
— Si tu tiens vraiment à le connaître, je ne t'en voudrai pas. Ta grand-mère est morte quand j'étais très jeune, je sais ce que c'est que de grandir avec un seul parent. Et je pensais pouvoir assumer un rôle de père, aussi.
— Il ne m'a pas vraiment semblé être une figure paternelle, songé-je.
— Il n'a pas toujours été comme ça, Kendall.
— Comment alors ?
— Charmant, gentil. Drôle.
— Il m'a paru être un salopard snob, affirmé-je.
— Ton langage ! s'écrie maman
— Peut-être que si j'avais eu un père, je m'exprimerai mieux, glissé-je habilement.
Ma mère fronce les sourcils comme si elle avait peur que je ne pique de nouveau une crise. Son visage se détend lorsqu'elle voit un sourire narquois étirer les deux coins de mes lèvres.
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A DANGEROUS GAME
Fiksi RemajaKendall se doutait-elle qu'en s'installant à Los Angeles, elle se jetterait tout droit dans la gueule du loup ? Car être une fille au lycée Turnwood, c'est vivre sous la constante menace d'un jeu. Le genre de jeu malsain et addictif, le genre de je...