Betty en média
— Le quoi ? Temptation - quoi ?
Mes sourcils sont violemment froncés.
— Mon Dieu, chut !
Une demi-douzaine de personnes ont porté leur regard sur nous. La fille qui me fait face se lève avec une brusquerie déconcertante, ses joues colorées par deux taches rouges. Elle contourne la table, me prends par le bras et m'entraîne hors de la cafétéria. Je jette un regard à mon assiette de riz à peine entamée et soupire.
Trop curieuse pour me débattre, je me laisse entraîner dans la cour, sur un banc. Manifestement, ce que Betty veut me dire est un secret d'État.
— Je vais t'expliquer, soupire-t-elle avec lassitude.
— Vu ton comportement, je n'attends que ça.
— Ça risque de ne pas te plaire...
Je hausse les sourcils. Une drôle de grimace déforme son visage, comme si il lui en coûtait de me parler de ce dont elle s'apprête à me parler. La curiosité me submerge.
— Ça te dérange si je fume ?
Je secoue la tête. Elle risque d'avoir de sérieux ennuis si un surveillant la surprend entrain de griller une clope dans l'enceinte de l'établissement. La blonde surprend mon regard.
— Personne ne passe ici à l'heure du déjeuner.
Je la regarde allumer une cigarette avec des gestes experts. Même si je n'ai jamais touché à ce truc de ma vie, l'odeur de tabac qui nous embaume ne me dérange pas, contrairement à certaines personnes.
— Laisse-moi t'expliquer. Ici, à Turnwood, il y a une sorte de tradition qui se perpétue d'année en année. Le Temptation's Game.
Perplexe, je la prie de développer.
— Je te mets dans le contexte. Trois garçons, ceux que tu as trouvé si merveilleux à la cafétéria, sélectionnent chacun deux filles qui correspondent à leurs envies : belles, grandes, petites, brunes ou blonde, eux seuls décident. Le but final est de les séduire pour pouvoir coucher avec elles. Généralement, ils les préfèrent vierges. Selon eux, ça augmente la difficulté de la partie.
Je bats des paupières comme une idiote.
— Hein ?
Décidément, cette fille a un drôle de sens de l'humour. Elle aurait au moins pu me faire croire que Robert Pattinson avait enfin créé un compte Instagram. J'aurais eu moins de mal à la croire.
— Ce n'est pas une blague, Kendall, insiste-t-elle. Ils ont toute l'année pour séduire les filles mais en général, la partie se termine en décembre parce que les sélectionnées sont incapables de résister aux Tentateurs — c'est comme ça qu'on les appelle. Celui qui parvient à coucher avec ses pions — eh oui, les filles choisies sont surnommées ainsi — le premier gagne.
Une nouvelle fois, je scrute son joli minois, en tentant de déceler une quelconque trace d'humour dessus. En vain. Aucun sourire n'illumine son visage. Elle ne crie pas : « poisson d'avril ! », même si on est en septembre
Merde, elle parle sérieusement.
— Vilken röra.
— Qu'est ce que tu as dit ?
Malgré les circonstances, un léger sourire naît sur mon visage.
— Mon arrière grand-mère était suédoise, gloussé-je. Je ne connais pas vraiment la culture mais il arrive que mes grands-parents sortent des insultes en cette langue. « Vilken röra » signifie : quel merdier.
— Eh bien, comme tu dis, vilken röra.
— Insultes suédoises mises à part... les filles sont d'accord pour participer ?
— Elles n'ont pas vraiment voix aux chapitres. Une fois choisies, impossible de faire machine arrière. Et puis, certaines sont parfois contentes d'être choisies parce que les méthodes de séduction des Tentateurs se résument parfois à offrir des cadeaux hors de prix. Évidemment, elles sont consentantes.
La consternation prend possession de moi. Bon Dieu. Où donc ai-je atterri ?
— Mais il y en a bien certaines qui refusent de faire partie de ce jeu, non ? Et si ces... ces Tentateurs, dis-je avec dégoût, ne leur laissent pas le choix, elles peuvent toujours les dénoncer.
À peine ai-je fini ma phrase que Betty se crispe.
— Une fille l'a fait l'an dernier. Je la connaissais un peu. Ça s'est mal terminé pour elle.
Un silence gênant s'installe. Manifestement, la blonde ne souhaite pas s'appesantir sur le sujet, alors je rebondis :
— Mais si une fille refuse catégoriquement ?
— Il y a une rumeur comme quoi James est sacrément doué en informatique, qui plus est. Il sait faire des montages de pro : sextape, nudes, messages compromettants et j'en passe. Il peut détruire ta réputation en envoyant ce genre saloperie à tes parents.
Je me retiens de ricaner tant les propos de mon amie sont ridicules. Elle semble sincèrement redouter ces types alors que si un d'eux s'avisait de me « forcer » à faire partie de leur connerie, je pense bien que c'est leurs couilles que je détruirai, et non leur réputation.
Il n'empêche que ces trois-là avaient l'air si normaux quand je les ai vu tout à l'heure — exceptée leur beauté invraisemblable.
— Difficile à croire, n'est-ce pas ? sourit amèrement la blonde. Derrière ces gueules d'anges se cachent des vrais démons, tu peux me croire. James, c'est le roux. Carter, le blond et le brun est Noah.
Roux, blond, brun... ils se prennent pour les Totally Spies ?
— Et comment on sait quand une fille est leur « pion » ? me renseigné-je.
— Ils informent tout le lycée. Si tu deviens pion, aucun mec ne s'intéressera à toi parce que personne n'ose se mesurer à James, Noah et Carter. Ils dirigent ce lycée d'une poigne de fer.
Si les types de ce bahut sont incapables de se « mesurer » à ces Tentateurs, alors aucun ne mérite mon attention.
— Je ne sais pas comment le prendre, avoué-je.
Ma nouvelle amie renverse la tête en arrière dans un éclat de rire jaune.
— Bienvenue à Turnwood, Kendall.
Avant même de pouvoir l'assaillir de toutes les questions qui me trottent dans la tête, mes yeux détectent trois jeunes hommes qui sortent du bâtiment principal et se dirigent vers nous d'un pas tranquille.
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A DANGEROUS GAME
Teen FictionKendall se doutait-elle qu'en s'installant à Los Angeles, elle se jetterait tout droit dans la gueule du loup ? Car être une fille au lycée Turnwood, c'est vivre sous la constante menace d'un jeu. Le genre de jeu malsain et addictif, le genre de je...