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Lucidnost interrompit la discussion qui se déroulait dans la pièce voisine. Elle voulait aussi faire retentir son patriotisme pour son peuple, son peuple qui avait depuis quelques siècles été méprisé et rejeté par les Tempêtes. Elle éleva la voix, non sans un brin de hargne :
« - Et puis il y a les Innovateurs.
Sa déclaration engendra un silence, curieux pour Enora, renfrogné pour les deux autres interlocuteurs.
Lucidnost poursuivi :
- Je suis une Innovatrice. Il y a bien longtemps de cela, on divisa les Tempêtes Grises en deux catégories à la sortie d'une terrible guerre civile, si ma mémoire est intacte. Ainsi, une partie des Tempêtes Grises fut mise à l'écart de la société et surnommée « les Innovateurs ». Les Innovateurs, de nos jours, sont semblables aux Tempêtes Grises, à la différence qu'ils sont bien plus courageux et moins théoriques. Ils ne possèdent pas le don de vision. Les Innovateurs sont, en fin de compte, de humains plus intelligents que la moyenne. Ce qui leur voue un dédain non camouflé de la part des Tempêtes. Les Innovateurs sont comme des chefs d'entreprise. Ce sont des dirigeant. Certains sont des rebelles. Des mal-aimés.
Céleste déglutit tandis que Nacht rétorqua :
- Il est vrai que les Innovateurs doivent faire face à des discrimanations constantes.
- Oui, c'est vrai, Nacht, c'est terriblement vrai, et vous ne pouvez pas vous empêcher de haïr les marginaux de la société. Vous nous avez isolés, vous dites sans le cacher que nous vous sommes inférieurs, mais la vérité, oh oui la vraie raison pour laquelle vous nous avez écartés, c'est que vous êtes effrayés. Vous craignez notre capacité à prendre de bonnes décisions même si elles vont à l'encontre de vos principes ou de vos privilèges, vous avez peur de notre capacité à nous mobiliser, à nous révolter, et à diriger des opérations qui réussissent. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé pendant la fameuse guerre civile, mais il est évident que notre talent vous a perturbés !
Céleste rougit, tandis que Nacht gardait une face impassible. Mentham s'écria depuis la salle voisine :
- Bon, vous avez fini de gueuler ? Y a des gens qui travaillent ici, respectez nan ?
Tout le monde se tut.
- On dirait une vieille bibliothécaire bien grincheuse.
La remarque d'Enora détendit l'atmosphère.
Nacht s'empressa de changer de sujet et d'expliquer :
- Les autres et moi, sauf Lucidnost, sommes les enfants des chefs des Tempêtes. Lucy est la fille d'un de nos accompagnateurs, Tin.
Céleste remarqua :
- Il paraît que nos parents veulent nous protéger. Ah oui, parce qu'il y a une guerre. Les Tempêtes Bleues et Vertes se battent contre les Tempêtes Grises et Rouges. »
Un flot immergea le fil des pensées d'Enora. Il y a une guerre. Oh oui, elle l'avait bien remarqué, oui. Elle l'avait vu de ses propres yeux. Elle hésita : devait-elle faire part de ses rêves à ses nouveaux compagnons ou devait-elle le garder pour elle ? Pourtant, elle s'était promis d'être plus ouverte à l'égard de ses hôtes. Mais, en même temps, pouvait-elle se permettre d'être naïve ? De plus, cette histoire dans laquelle elle s'était embarquée s'avérait plus complexe que prévu. Son père ne manquerait bientôt plus de s'inquiéter. Mais c'était trop tard, elle ne pouvait pas revenir sur ses pas. C'était comme dans le film, Matrix, où le héros doit choisir s'il veut continuer dans le vrai monde ou rester bercé d'illusions. Quand elle l'avait vu la première fois, il était évident pour elle qu'on ne pouvait se refuser à la vérité. Et bien aujourd'hui, elle en était de même persuadée. Et si cette histoire de magie était fausse, et bien au moins elle le découvrirait, mais en tous cas elle ne vivrait pas dans le doute qu'il existe un monde en dessous du sien.
Elle se décida à en parler à Nacht, car elle pensa qu'il pourrait comprendre, étant donné qu'il rêvait comme elle le faisait. Elle attendit sagement le moment propice pour l'interpeler discrètement :
- Nacht ?
Celui-ci se détourna de ses occupations pour prendre un air étonné.
- Moi ?
Enora lui fit un signe de tête. Il approcha.
- Lucille ...
- Lucy, corrigea-t-il.
- Lucy ...
- Son véritable nom est Lucidnost. Je crois que ça veut dire lucidité en une langue scandinave.
- Oh, tiens, c'est joli, Lucidnost, vraiment, ça a un charme qui ne me laisse pas tout à fait indifférente, alors vraiment j'adore c'est particulièrement raffiné, avec une sonorité élégante, vous ne trouvez pas ?
- N'est-ce pas, très chère ?, souligna Nacht. Il se surprit à rentrer dans son jeu. Lui qui était habituellement si terre-à-terre. Il lui arrivait bien d'être drôle (parfois), mais il était distant et calculateur la plupart du temps. Ce qui n'était pas le cas avec Enora. C'était comme s'il la connaissait de longue date.
Enora s'éclaircit la voix.
- Lucy a parlé de guerre tout à l'heure.
- Oui.
- J'ai fait de nombreux rêves, comme tu le sais...
- Oui, je sais. Quand est-ce qu'on allait en parler ? Pourquoi toi ? Pourquoi ...
Enora lui coupa la parole :
- Non, c'est pas ça ... j'ai par le passé eu la vision du champ de bataille. C'était ... à en glacer le sang. Je crois que je ne l'oublierai jamais. Mais ce n'est pas tout. J'ai surpris une discussion entre quatre des chefs, à propos justement de vous envoyer ... ici. Deux des chefs pensent que c'est un piège.
- Oui, il y a ça aussi ... nous en avons débattu avec les autres et nous ne savons pas encore nous positionner. En fait, on est là pour ça. Voir s'il y a des traces écrites d'un éventuel plan. Mais je t'expliquerai plus tard.
- Ok. Et aussi ...
- Arg mais t'as jamais fini de parler toi.
- Et aussi, comme je disais, j'ai été témoin d'un échange diplomatique dans ces lieux. C'était l'hiver dernier, je pense. Ils ont évoqué les raisons d'une potentielle guerre. Il y avait une reine toute en vert, je suppose si j'ai bien suivi que c'est la cheffe des Tempêtes Vertes ?
- Jade Viridi en personne. Qu'est-ce qu'elle a dit ?
- Presque rien, c'était un de ses sous-fiffres qui a énoncé sa réponse à la déclaration d'une certaine Scarlett ...
- La cheffe des Rouges.
- Oui. Mais elle a dit ... Enfin, Scarlett a mis en lumière la perte d'un roi ...
- Les chefs ne sont techniquement plus des rois mais il arrive que le peuple les mentionne de la sorte, il reste attaché au passé royal des gouvernants. En plus, ils portent des couronnes, ce qui prête à confusion.
- Donc ... si je résume les propos de Scarlett, elle a dit que la reine Jade avait eu une aventure avec le roi des Tempêtes rouges et ... putain j'y comprends rien, c'est trop nouveau pour moi, mon cerveau va imploser.
- Du calme. Je vais te raconter. Le roi Ginger a en effet eu une relation, non-officielle bien sûr, avec Jade Viridi. Scarlett, l'héritière de la couronne, l'a donc chassé de l'Immeuble Principal Rouge.
- Le quoi ?
- L'équivalent du palais royal.
- Oh oui, désolée, c'était tellement évident.
- Il n'y a pas la place pour un palais en ville. Mais on en trouve à la campagne. Donc, le Roi Ginger s'est exilé à la campagne mais l'équivalent d'un bus l'a percuté. On a soupçonné un assassinat car Jade Viridi ne voulait pas que la nouvelle se divulgue. En effet, pour elle, la nouvelle de la mort du Roi par un « accident » est moins susceptible de soulever l'infidélité du roi par rapport à une séparation, même juste géographique, du couple royal Rouge.
- Mais c'est horrible ...
- L'habit ne fait pas le moine. Les Tempêtes Vertes aussi peuvent se révéler cruelles. Quoiqu'il en soit, malgré les efforts de la cheffe des Verts pour remettre en ordre la diplomatie avec les Rouges, les hommes de Scarlett assassinèrent le Roi des Verts.
- Donc Mentham et Brann sont à moitié orphelins tous deux ?
- Juste Mentham, le Roi Ginger n'était pas le père de Brann.
- Et donc les Tempêtes Bleues et Vertes font la guerre aux Tempêtes Rouges pour cette raison là ?
- Les Rouges et les Grises. Mon père, Mercure, a compati à la douleur de Scarlett. Ma mère dit souvent qu'il l'appuie parce qu'il admire la vivacité des Rouges. Il n'a pas cette étincelle de vitalité que eux possèdent, selon elle.
- Ta mère n'est pas d'accord, alors ?
- Mes parents sont divorcés.
- Ah. Mais est-ce que quelqu'un, ici, a une vie familiale normale ?!
Nacht la toisa. Elle devait avoir parlé trop fort. Puis quelque chose lui revint en mémoire :
- J'ai aussi entendu parler de Tempête Noire.
Nacht ne cacha pas sa surprise :
- Jamais entendu parler. Tu as dû confondre.
- Oui, c'était dans une prière qu'un homme prononçait ... c'était il y a une éternité, à mes yeux. Oh, sinon, tu me dois un tour de magie.
- Je serai ravi de t'en faire la démonstration. Regarde là-bas. Tu vois cette bougie ? Je vais la faire venir jusqu'à moi.
La bougie se déplaça.
- Waaaouh. On se croirait dans Star Wars, genre t'as la Force et tout...»
La discussion s'acheva sur ces mots. Subitement, Brann lâcha un cri se satisfaction. Il avait dû fouiller dans des papiers qui n'étaient pas triés, sûrement pour dissuader de relire les anciennes conversations ; si l'enregistrement de celles-ci était obligatoire, il était souvent négligé. Malgré le désordre, Brann avait trouvé ce dossier : Exportation des enfants-chefs pendant la Guerre.

Ebony WarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant