Alerte

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Enora referma la porte derrière elle en poussant un soupir. Elle avait passé dans cette pièce, peut-être, une dizaine de minutes. Oui, c'était plutôt long, même assez suspect. Enora inspira. Tant pis, il fallait bien y retourner, elle ne pouvait rester cloîtrée plus longtemps dans les toilettes. Soudain retentit un coup de feu, le hurlement de l'air déchiré par une balle. Enora ouvrit de grands yeux paniqués, et fut tentée de retourner immédiatement dans les latrines. Mais elle serait terriblement tracassée si l'on remarquait son absence, et qu'elle fut prise pour une lâche. Enora, de toute manière, débordait d'adrénaline. Sa vision s'éclaircit, se focalisa sur le couloir devant elle et le traversa en un éclair. Elle prit un virage à gauche, prenant conscience de sa vitesse, et enfonça la porte qui se présenta devant elle. Enfin, enfoncer ; elle n'en avait pas vraiment la force. Au moins, peu importe qui se trouvait là-dedans, mais la personne en question s'était aperçue de l'existence d'Enora. Elle avait sûrement fait gagner du temps aux futures victimes derrière la porte, mais cela n'était pas suffisant. Enora devait se faire plus importante. Elle tambourina sur les parois en retenant ses cris de frustration fasse à la porte qui ne cédait pas. Tout à coup, celle-ci se déverrouilla mais le poing d'Enora était déjà parti sur sa lancée. Il s'écrasa sur le nez de Mme Yegorov. Elle saisit la poignée de celle-ci et l'attira dans la salle de classe. Tout en dressant devant elle une main menaçante, elle tempêta :
- Toi être mauvaise fille ! Ne jamais trouver de mari si violente comme ça ! Maintenant jeune fille rejoindre ses camarades et arrêter de déranger l'exercice !
Enora resta perplexe. Elle s'autorisa à jeter un coup d'oeil à la classe : les tables étaient retournées, et disposées en demi-cercle. Les élèves se cachaient derrière. On ne les voyait pas, mais Enora les devinait : elle était au courant de leur présence, et principalement parce qu'elle s'était malgré elle rendu compte de ce qui se déroulait actuellement. Et c'était bien malgré elle, parce que maintenant elle devait subir la honte qui ensuivrait de cette acceptation. Elle avait pris l'exercice d'intrusion terroriste pour une réalité. Il se sentit fière un instant, pour son courage, puis prit subitement conscience que son habitude à se précipiter la tête baissée sans réfléchir l'avait encore mise dans de beaux draps. Elle rejoignit ses camarades. Ses cheveux blonds, eux tout à fait splendides de par leur teinte dorée, camouflait son visage devenu cramoisi. Elle s'assit près d'Alice, une fille avec qui elle s'entendait plus ou moins bien, et qui était aussi l'une des rares personnes avec qui elle socialisait. Alice était ce genre de fille bavarde qui pourrait jacasser pendant des heures de tout et n'importe quoi. Alice était une fille passionnée par la musique, et c'était assez drôle parce qu'au final si Enora traînait avec elle, c'était pour avoir un fond sonore. Enora, elle, passait le plus clair de son temps à regarder dans le vide en attendant que quelque chose se passe. Elle aimait être seule, et elle s'amusait bien toute seule, à lire, jouer aux jeux vidéos, regarder des films, des séries, des animes, des memes. Et comme elle n'avait pas franchement beaucoup d'amis, elle avait le temps de faire tout cela, ce qui élevait sa culture geek à 9,8 sur une échelle de 9,9 (à vous lecteurs : OUI, j'ai le droit de faire une échelle de 9,9, je fais ce que je veux, c'est mon livre d'abord).
S'il y avait un côté négatif à ne pas avoir d'amis, dans sa vie, c'était qu'elle n'avait personne sur qui se défouler quand elle était en colère contre les professeurs, son père, sa connexion internet. Bon, il fallait bien avouer que regarder un navet cinématographique sans personne avec qui critiquer le film en question, ou n'avoir personne à qui envoyer de memes de qualité, c'était aussi une perte. Parfois, Enora regrettait de ne pas avoir tenté de devenir plus proche d'Alice. Mais son orgueil l'en empêchait, assorti avec son côté farouche qui l'avait déterminée à rester dans cette voie de solitude - même si, sans vouloir répéter, elle ne se sentait pas marginalisée.
Alice lui tapota la caboche. Bim, retour dans le présent.
« - Jeune padawan, je suis fière de ton apprentissage. Tu es prête à affronter n'importe quel adversaire à présent.
Enora refoula un rire nerveux. Elle balbutia :
- Vous aviez vu que je n'étais pas là, ou ... ?
- Ah si, si, on a remarqué ton absence, souligna Alice. Puis on a décidé que tu n'en valais pas la peine.
Enora retint encore une fois son rire. Décidément, elle devrait mieux se comporter avec Alice en tant qu'amie.
- Dis, chuchota Enora, ce soir, tu veux venir voir un film d'horreur chez moi ?
Alice répondit en l'espace de quelques secondes :
- Je suis estomaquée. Voilà trois ans qu'on se connaît et c'est la première fois que tu m'invites chez toi ! Waouh. Tu comptes me demander en mariage tant que t'y es ?
Cette fois-ci, Enora éclata d'un rire grave. Mme Yegorov la gifla sans plus de cérémonie.
« - Ça suffit ! Tais-toi !
- Eh, rouspéta Alice à voix basse, c'est contre la loi ! »
Enora s'était tue. Son coeur battait à tout rompre. Sa fierté et son tempérament rebelle combinés la poussaient à l'action.
Elle se redressa, renversant la table derrière laquelle elle se tenait, et s'exclama de toutes ses forces :
- Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre ! Madame Yegorov, permettez-moi de vous faire remarquer, sans vouloir vous offenser, que vous êtes systématiquement en train de piailler ? À tous les cours, vous ne faites que ça, blablabla, les cours, alors que je ne vous ai rien demandé ! Ce serait plutôt à vous de la fermer parce que personne d'entre nous ne veut écouter ne serait-ce une fois encore vos leçons. Vous êtes moralisatrice, misogyne, et, en dessus de tout, très casse-couilles ! »

Ebony WarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant