« - Enoooo, qu'est-ce que tu fous à Versailles putain ?
- Je voudrais bien t'expliquer mais c'était une impulsion. Tu peux venir me chercher, maintenant ? J'ai froid, dehors.
- Seulement si tu m'expliques ce qu'il se passe.
- D'accord mais ramène-toi vite. Mon nez est gelé.
- Bien sûr, à tes ordres.
- Merci.
- Nan mais par contre c'est sûr que j'arriverai pas avant minuit. »
Enora raccrocha, attendant fermement que Ruth vienne la chercher. Enora et Ruth avaient, pour ainsi dire, grandi ensemble. La mère de Ruth, Ella, était une femme dévouée à sa carrière, et elle laissait souvent Ruth sous la garde de son oncle Daniel. Les deux cousines se lièrent d'une amitié très forte, et quand Ruth avait déménagé en province, Enora avait commencé à se sentir très seule. Alors, ce jour-ci à Versailles, elle a décidé de l'appeler, de demander à Ruth son aide. Pour moins se faire engueuler, potentiellement, mais aussi parce qu'elle lui manquait. C'est dans les moments les plus improbables, comme lors de cette nuit noire, qu'on pense aux choses lointaines.
Soudain, un air lui vint en tête. Cet air était chanté, et elle pouvait en recueillir les paroles. Enora fredonna.
« Sais-tu seulement pourquoi
Les fleurs n'éclosent jamais ?
Ce bourgeon que j'aimais
Frémissant autrefois
Flétri à présent
Parfois
Agonisant
M'amènes-tu, je crois,
Là où se meurt l'été
Le Printemps amèrement regretté
Lorsqu'à ma porte vient sonner
L'Hiver ou l'Automne
Les Fleurs ne fleurissent
Entre désert de caprices
Les Fleurs ne fleurissent
Ce n'est que du fer
Glacial
Et Alors les Fleurs
Fleurissent mal
Quand elles ne sont en Enfer
Car leur lamentation se perd
La guerre les fait de pierre
Voués au massacre
Les bourgeons les nouveaux
Les enfants âcres
Les quatre chefs les poussent dans le caveau
Six enfants, force du destin
Ferons de ce monde
Un festin
Ou un repas immonde»
Enora reprit sa respiration. Elle venait de chanter avec une telle rage qu'elle en était étonnée. La haine qu'elle pouvait ou avait pu ressentir envers n'importe qui -tout le monde- s'était évaporée. Comme si, après avoir brûlé, son feu intérieur s'était appaisé. Bien sûr, cela ne dura que très peu. Le sentiment de colère constante -le sentiment d'être humaine, et pas pure- revint tôt. Mais, en quelques instants, il avait été balayé par ... de l'espoir, peut-être ? La paix ? Enora n'en savait rien. À vrai dire elle en avait rien à foutre. Elle, tout ce qu'elle voulait, c'était rentrer chez elle.
En fait, non. Rentrer chez elle. Aller à l'école, vivre son quotidien si souvent vécu, non merci. En fait, elle était bien ici. Son regard se peignit d'une détermination inébranlable. J'ai quelque chose à faire, ici. Je vais retrouver ces putain d'enfants.
Et Ruth ?
Elle attendra.
Dis-lui de faire demi-tour.
Non.
Pourquoi ?
Elle m'oubliera -encore.
Elle ne va pas être contente.
Elle ne me fera plus confiance.
Tant pis.
---------------
Les sept passagers sont repartis. Cette fois-ci, la première voiture est remplie par Brann, Mentham, Lucidnost, et Tin. La deuxième par Nacht, Céleste et Ruby.
Brann et Nacht s'étaient promis, ce matin, de ne pas parler de leur découverte aux autres. Nacht, ce soir-là, à moins de trois heures de route de Versailles, le regretta amèrement. Il aurait aimé en parler à Céleste, savoir ce qu'elle en pensait ; même si son avis risquait peu d'être construit et argumenté, et qu'il trouvait Lucy beaucoup plus intelligente, Céleste possédait un côté très humain, très compréhensif. Il aurait eu besoin de son aide pour analyser le comportement de Tin et Ruby. Même si Nacht avait du mal à ressentir des émotions , il n'avait aucun problème pour déterminer les comportements caractéristiquement humains. Céleste avait un fort potentiel de détection. Tous les mensonges, toutes les appréhensions, elle faisait plus que les analyser. Elle les sentait. Comme si elle était à la fois elle et tout le monde. Elle aimait s'intéresser aux gens, comme Nacht, mais elle, c'était pour les aider -les guérir. Nacht se demanda qui l'aidait, elle. Elle devait se sentir très seule, au fond. Elle portait tous les fardeaux, mais le plus lourd était le sien. Nacht ressentît (presque) de la compassion. Il se promît de parler plus intimement avec Céleste.
Quelques heures plus tard-------
Enora, errant depuis quelques temps déjà, entendit soudain un bruit continu et mécanique. Une voiture. Ruth ?
Elle tourna la tête vers la voiture, se mit sur le trottoir, et attendit que la vitre passe devant elle. Elle vit alors une femme à l'avant, mais ça n'était pas Ruth. Et à l'arrière ... Oh. C'était le garçon. Le brun aux yeux marrons. Leurs regards se croisèrent -la confusion s'installa. Enora réagit de suite. Elle courut derrière la voiture.

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Ebony War
ParanormalEnora oscille entre la fiction et le réel, et elle voudrait bien se débarasser de son imaginaire, mais elle est loin de savoir que sa réalité va se débrider. Cinq adolescents l'attendent quelque part pour l'aider à mettre fin à une longue guerre ent...