Lucy appréhendait tout contact avec Askatasuna, mais il lui fallait vraiment poser cette question.
- Madame ?
Elle n'osait pas l'appeler par son prénom.
Silence.
- À quoi va servir cet être que vous avez dans les mains ?
Elles étaient penchées sur les branches d'un arbre à au moins une dizaine de mètres du sol. Askatasuna tenait dans sa main un pigeon. De là où elles étaient, elles voyaient cette petite communauté de Féroces ... là où étaient censés se trouver Céleste, Brann et Mint. Askutasuna attachait un papier à un pigeon.
Cette dernière eut une mimique méprisante mais peu étonnée.
- C'est un pigeon. Un oiseau.
- D'accord.
Bien qu'elle ait assuré le contraire, Lucy n'avait pas élucidé le mystère de l'utilité du fameux pigeon.
- Vous autres Tempêtes ne savez rien du vrai monde. Vous pensez être supérieurs parce que vous connaissez l'existence des humains mais eux ne vous connaissent pas, alors qu'en réalité vous êtes à côté de la plaque. Vous n'avez fait que la moitié des efforts que les humains ont produits pour atteindre ce stade d'évolution technique et technologique, et vous ne vous y intéressez même pas. Alors que les humains passent leur temps à imaginer à quoi ressembleraient les extra-terrestres, comment sera leur monde dans quelques années, vous vous contentez du peu que vous offre votre imagination parce que la magie fait déjà partie intégrante de votre vie. C'est pour ça que nous Innovateurs sommes bien meilleurs que vous.
Lucidnost ne répondit pas, pensant à quel point Askatasuna s'était éloignée de la question de base. Voyant sa moue démunie, Askatasuna se força à expliquer ses actes.
- C'est un pigeon voyageur. Il est capable de retourner à l'endroit où il a grandi. Et celui-là... Il vient tout droit d'ici.
Askatasuna pointa du doigt une fenêtre du bâtiment principal.
- Je n'ai pas compris. Il n'y a pas, genre, une barrière ? Et comment Céleste et les autres vont recevoir le message ?
Askatasuna fronça les sourcils. Elle n'avait pas l'air de vouloir se donner la peine de parler à une jeune Tempête ignare. Lucidnost se terra dans le silence.
- Il y a une deux barrières. Une pour les êtres vivants sans pouvoirs et une avec. La deuxième est tout autour du terrain tandis que la première ne recouvre pas le dessus - parce que son but est principalement d'empêcher les êtres humains de rentrer et ceux-ci ne volent pas. Il serait donc inutile et consommateur de s'efforcer à fortifier une barrière complète pour les humains. Le pigeon peut donc atteindre l'édifice central par la voie des airs. Ensuite, le papier sera lu par la première personne qui passera par là - puis remis à tes amis, soit disant pour confirmation d'inscription au journal du quartier. Ce serait bizarre d'envoyer un pigeon plutôt qu'un email, mais ces Féroces ne s'y connaissent pas tant que ça. Mais en vérité, sur le papier, on leur demande comment ils sont rentrés. Tes amis sont des fils de chefs. Ce ne sont pas n'importe qui. Ils ont été éduqués pour se sortir de toute situation avec dignité.
Vous remarquerez que Nacht a dû se faire passer pour un connard seulement pour s'acheter deux-trois habits.
- Comment avez-vous eu ce pigeon ?
- Moi non plus je ne suis pas n'importe qui, ricana Askatasuna.
C'était la première fois qu'elle émettait un son joyeux. Lucy se laissa aller par cette manifestation qui la rendait optimiste.
- Bon ! Allons-y alors !
Le pigeon s'envola.
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Mentham se réveilla. La soirée de la veille avait été plus qu'épuisante mais sa fin dépassait ce que l'on pouvait appeler l'épuisement. C'était franchement agaçant d'être imbriqué entre ses deux autres compagnons tant la tension était palpable. Mais Mentham n'était pas du genre à se plaindre. Il ferait tout pour que ses amis se réconcilient mais il voyait clairement que cela passait par se retirer lui. Il était créateur de tensions aussi bien que la situation actuelle.
Brann n'était pas dans la chambre. D'ordinaire, il ne se levait pas tôt, mais Mentham si, donc c'était doublement étrange. Mentham était un jeune homme travailleur et énergique alors il fut intérieurement blessé d'avoir été finalement dépassé par un flemmard impulsif. Par la même occasion, il s'administra une dose de courage et partit le chercher dans le grand manoir.
Il réfléchissait. Il fallait sortir d'ici mais le procès avait lieu dans deux semaines. Pendant un instant, Mint songea à dire toute la vérité à Seamróg, à Dux Aeternum. Au fond, il espérait obtenir de l'aide. Parce qu'il se sentait effroyablement seul. Tout d'abord, il était coincé entre Brann et Céleste, ensuite, il devrait bientôt assumer l'héritage de chef, et surtout, il était censé empêcher deux personnes de faire le mal et une guerre. Les deux personnes, il s'agissait de Tin et Ruby, qui préparaient visiblement un contre-plan à un plan déjà mauvais en soi : celui des chefs rouge et gris de s'emparer de leurs anciens pouvoirs qui leur avaient été confisqués pendant la fameuse guerre civile dont personne ne savait rien. Il fallait à la fois contrecarrer le plan des Innovateurs et celui des Tempêtes. Dieu ! Ce que c'était lourd. Il n'était pas n'importe qui -certes- mais il n'était pas censé être de taille. Quant à clore définitivement la guerre ... et bien, il y avait un moyen de l'arrêter définitivement. Mais s'il révélait ce moyen, ce serait la fin pour lui ; et il pensait sincèrement que même en participant à cette dangereuse quête il n'avait pas de chance de mourir, parce que son statut conférait une importance trop notable à sa vie pour qu'il soit tué. Il avait un secret qui le rongeait de l'intérieur et qui mettrait fin à la guerre et après tout elle faisait trop de morts pour oser penser à sa petite vie, mais Mentham ne pouvait s'en empêcher. Les conflits royaux étaient toujours mélodramatiques alors il se sentait coupable et ridicule d'en rajouter, mais qu'est-ce qu'il y pouvait, il était né dans un environnement qui suivait ces étiquettes et principes de vie. Soudainement, il pensa que les Tempêtes vertes royales étaient certainement les plus orgueilleuses qui pouvaient être et donc impures de leur propre race qui était celle de la protection - celle pour qui sa vie compte moins que celle de son voisin. Mentham ne comprennait plus son espèce. Les Tempêtes vertes s'étaient mises à faire la guerre, malgré elles certes, mais aucun signe de transformation n'était plus terrible. C'était comme si - comme si la relation entre sa mère et le chef des rouges avait déteint sur le peuple de cette dernière.
Il fut secoué par l'effroi. Heureusement, il n'eut pas le temps de réfléchir plus, comme il croisait Céleste. Elle sortait de l'infirmerie du sixième étage.
- Piqûre douloureuse ?
Elle haussa un sourcil.
- Où est Brann ? demanda-t-elle, tout en incitant Mentham à remonter à l'infirmerie pour s'asseoir.
Mentham lui fit parvenir son ignorance à ce propos, alors tous deux ciblèrent les quelques lieux qu'ils connaissaient le mieux pour essayer de retrouver Brann. Mentham était toujours excité par le travail de recherche alors il fut terriblement déçu quand Brann pointa le bout de son nez à l'infirmerie. Son visage était peint d'un grand sourire qui se décomposa à la vue de Céleste - il détourna le regard. Mentham releva la tête vers Brann.
« - mmh ?
Il s'approchait prudemment d'eux lorsque Mentham remarqua un papier entre ses doigts.
- Brann ?
Il leur tendit le papier qui était en réalité une lettre. Céleste s'en empara et dicta :
- Monsieur, Madame, suite à votre demande d'insciption blablabla veuillez inscrire vos coordonnées blablabla journal quotidien local « L'oie noire » ... Ça n'a aucun sens.
Mentham saisit la lettre et par magie les mots changèrent.
- Sort basique d'annulation de modification. Un sort simple mais efficace et que les Féroces ne sont plus capables de détecter.
La flèche retour en arrière d'un document word.
- Qu'est-ce que ça dit ? demanda Brann.
- « Brann, Céleste, Mentham. Je vais bien, désolée de vous avoir laissés sans nouvelles.
- Lucy !! Interrompirent Brann et Mentham.
- J'ai été enlevée par Askatasuna mais j'ai promis que si elle me ramenait auprès de vous vous demanderez à vos parents d'avoir de l'indulgence quant au sort de Ruby (faites de même pour mon père à l'occasion). Nous sommes juste à proximité alors si vous voyez ce message rejoignez-nous porte Est et trouvez le moyen de nous faire entrer. Ensuite, Askatasuna promet de vous libérer. Avec l'espoir de vous revoir,
Écrit le 11ème jour du temps de fraîcheur tendre,
Lucidnost. »
Il y eut un long silence durant lequel personne n'osa se positionner.
« - Je crois, s'aventura Mentham, je crois que ce n'est pas un piège. Je veux dire ... c'est crédible. Et je m'en veux un peu de ... »
Personne ne répondit mais tous pensaient à la même chose : ce qu'ils se reprochaient, c'était d'avoir prêté si peu d'attention à Lucy. Ils ne la connaissaient pas très bien, mais si c'était bien vrai qu'ils avaient eu d'autres choses à penser avec un enlèvement et la découverte d'une véritable communauté, ils avaient vite oublié la disparition de Lucidnost. Tous savaient qu'ils céderaient à l'invitation.
« - Le problème, dit Brann, c'est qu'on ne sait pas comment entrer. Ni sortir.
- Et bien ...
Céleste leur dévoila comment elle avait été attentive aux détails.
- Il nous faut juste la clé. Et puis comme ils disposent de plusieurs protections elles ne devraient pas être si difficiles d'accès. »
Le trio décida alors de s'enfoncer dans les antres du manoir afin de retrouver Seamróg afin de potentiellement fouiller son bureau. Que voulez-vous ? Par quoi auriez-vous commencé, vous ??
Ils se précipitèrent dans les escaliers. Cinquième étage, rien. Quatrième ... un plan du manoir. Ils ne se souvenaient plus de qui était où. C'est alors qu'émergea Thorn Spic de nul part. Il s'étonna en les croisant :
« - Eh ! Je vous ai cherchés ! Vous êtes libres mais quand même sous ma garde ...
- Désolés, Mr Spic, s'excusa Céleste.
- Par ailleurs on organise une sortie sur toute la journée aujourd'hui, au Mont Saint-Michel. C'est pas que c'est très proche donc on doit partir bientôt, vous venez ?
- Non merci nous sommes occ...
Céleste interrompit Brann.
- Nous venons ! »
Brann saisit le bras de Céleste avant de la tirer à l'écart.
« - Mais qu'est-ce que tu fais ?!
- Mais réfléchis un peu, bon sang ! s'écria-t-elle à voix basse. S'ils partent en voyage c'est qu'ils doivent avoir le moyen de rentrer et donc ...
- Et donc ils ont les clefs, confirma Brann. Mr Spic, allons-y. »
Quelques minutes plus tard, Brann, Céleste et Mentham étaient prêts. Ils avaient cru comprendre que Mr Thorn avait laissé les clefs dans la petite poche de son sac à dos qu'il avait placé à côté de lui. Le plan fut donc de : attendre l'endormissement de Thorn, récupérer ses clefs à l'aide du pouvoir d'invisibilité de Mentham, puis de sortir du bus. Pour ce faire ils utilisèrent à la fois la puissance de Brann pour ouvrir la porte du bus, le pouvoir d'illusion mineure de Mentham pour couvrir son action puis le pouvoir de matérialisation de Céleste qui projeta du coton et de la mousse à l'endroit où ils atterrirent en sautant du bus. Mentham s'inquièta de la santé de Céleste qui avait dû s'épuiser à retenir les formules chimiques du coton ou de la mousse et à modeler certaines pierres sur le chemin pour se repérer : c'est-à-dire que pour faire comme dans le Petit Poucet, qu'elle avait lu au Ebony Hope, elle avait taillé certaines pierres en forme de croix. Brann, Mentham et Céleste suivirent donc joyeusement l'itinéraire, ravis de s'en sortir assez facilement sauf pour Céleste.
Lorsqu'ils arrivèrent devant l'enceinte magique, ils se rendirent à l'emplacement ordonné. Le temps leur était compté mais surtout, ils ne voyaient pas l'intérêt de se saisir de la clef maintenant qu'ils étaient dehors. Mais d'un côté, c'est vrai qu'il leur manquait leur sac à dos, et comme ils l'apprirent plus tard, le gap de temps entre leur fuite et le moment où l'on s'en rendrait compte de celle-ci était trop court pour qu'ils s'enfuient. Selon Askatasuna, les Féroces comptaient parmi leurs rangs d'excellents traqueurs.
Ils virent Lucy et Askatasuna venir à leur rencontre. Céleste prit Lucy dans ses bras, supervisée par le regard glaciale de la chasseuse de prime. Puis elle exhiba la clef, la faisant miroiter la lumière du soleil. Le précieux objet n'avait jamais autant été plutôt la clef d'une liberté qu'une clef banale. Céleste les incita àse séparer et tendre la main pour tenter de réperer une zone d'air chaud. Ce fut Lucidnost qui la trouva. Céleste compta le nombre de mains qu'elle devait apposer sur la paroi puis inséra la clef au bon endroit. Ils pénétrèrent dans la zone magique. À cet instant là, Askatasuna leur ordonna d'aller chercher leurs sacs et de les rejoindre au point de départ - là où ils étaient actuellement situés. Ils coururent dans leur chambre, récupérèrent leurs sacs. Ils entendirent soudainement des cris au dehors - mais ils ne voyaient rien depuis les fenêtres. Ils refirent le chemin en sens inverse, d'où ils purent observer le chaos qui s'abattait sur la ville si délicatement structurée. C'en était fini de Revocity, pensa Céleste. Elle saisit de manière instinctives les mains de ses amis de longue date.
- Qu'est-ce qui se passe à votre avis ? demanda-t-elle.
- Il y a un feu qui démarre là-bas, nota Brann. C'est les cultures. Askatasuna veut sûrement les forcer à s'occuper des besoins les plus urgents une foisque tout ça sera fini. Par contre, les cris ... je sais pas. »
Ils attendirent en silence, devant un feu grandissant. Lucidnost et Askatasuna accoururent vers eux après une dizaine de minutes.
« - Mais qu'avez-vous fait exactement ?? s'écria Céleste
Askatasuna haussa les épaules et Lucidnost balbutia.
- Nous - enfin elle - s'est rendue là où était la prison et a libéré les prisonniers pour causer la panique. Ils ont brûlé les cultures.
Mentham fut stupéfait.
- Mais, mais vous allez peut-être causer des des blessés ! Et vous n'avez aucune idée du travail fourni pour construire cette ville !
- Mais dans quel camp tu es, putain ! Réfléchis ! s'énerva Brann. »
Il avait les sourcils froncés et la mâchoire serrée. Mentham savait que sa colère n'était pas dirigée envers lui car il savait que Brann aussi était touché par le sort du village qui l'avait émerveillé. Il avait simplement l'intelligence de rentrer dans les rangs en attendant d'en savoir plus sur Askatasuna.
Ils partirent sans laisser de traces et le plus rapidement possible.
Ils marchèrent dans les bois obscurs malgré le soleil au zénith. Ils laissaient derrière eux une courte partie de leur vie mais s'en éloignèrent aussi simplement que s'il ne s'y était rien passé. Cela signifiait aussi -en tout cas Brann l'espérait- que sa querelle avec Céleste prendrait bientôt fin. Il ignorait tout de son origine et n'osait pas encore en parler avec elle, après l'incident du combat. Il secoua la tête pour enlever de sa mémoire tous ces mauvais souvenirs. Il brûlait aussi d'envie d'interroger Lucy à propos de son expédition, enfin, kidnapping, avec Askatasuna mais Céleste attira brusquement l'attention sur elle en agitant ses bras, l'air surprise.
« - Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Lucidnost avec de grands yeux.
- Un TerMess ! De la part de Nacht !
Tous se rassemblèrent autour de la tempête bleue.
- Il dit ...
Elle se tût, l'air concentré. Brann et Mentham reçurent à leur tour un TerMess qui s'avérait être le même message pour tout le monde. Ce message contenait, avant tout, un état des lieux et de la situation pour Enora et Nacht, et leur nouvel ami Hedere à en croire Enora, et puis ensuite un passage très important à savoir la vérité sur la guerre civile.
Mentham, Brann et Céleste se concertèrent du regard et décidèrent de faire un résumé à Lucidnost. C'était risqué, car le dénouement historique contenait des informations sur les Innovateurs qui pourraient potentiellement insupporter Askatasuna et par ce biais faire courir un danger pratiquement de mort au trio de Tempêtes. Brann fit signe aux autres d'attendre qu'Askatasuna dorme ou autre pour tout raconter à Lucy et uniquement à Lucy. Ils tendirent le cou et aperçurent la chasseuse de primes au loin, affûtant un bâton tout en marchant. Ils s'approchèrent de Lucy.
« - Hey, Lucy !
Elle sourit, d'un sourire fade et fatigué. Sûrement par les épreuves qu'elle dût traverser à cause d'Askatasuna.
Céleste lui saisit le poignet.
- On a beaucoup de choses à te dire.
- Je t'écoute.
- Le TerMess de Nacht raconte ce qu'il s'est passé pendant la guerre civile. Pour cela il faut revenir en arrière et bouleverser tes certitudes. Je ... enfin on ne sait pas encore quoi croire mais c'est ce que Nacht nous a dit.«
Lucy écouta attentivement le flux de parole qui s'échappa de la bouche de Céleste. Au fond d'elle, elle comprit enfin la cause d'Askatasuna et du Conseil de Innocents et se sentit plus déterminée que jamais à suivre Askatasuna.

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Ebony War
ParanormalEnora oscille entre la fiction et le réel, et elle voudrait bien se débarasser de son imaginaire, mais elle est loin de savoir que sa réalité va se débrider. Cinq adolescents l'attendent quelque part pour l'aider à mettre fin à une longue guerre ent...