Chapitre 14 - Pour une Ère de paix

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« ... Hm ? »

— Son humble Serviteur revient visiter la Grande Détentrice.

« Tu fais appel au pouvoir... »

— Par sa bonté et son intérêt pour la Haute-Terre de ses ancêtres, puisse-t-elle prêter attention à ses dévouées paroles.

« Pourquoi tenter de sauver les apparences, il sait très bien que tu n'en peux plus. »

Une courte incandescence éclaira la pénombre, avant que l'odeur des encens ne s'invite derrière les rideaux tirés. Le bruit d'une canne de bois que l'on dépose résonna entre les murs vides, puis un froissement de toge, le tintement de dizaines de perles, lui prouvèrent qu'il avait posé genoux à terre.

Lors du dernier Conseil, les Stratèges ont indiqué que l'île d'Utopie nous suivait de près. Les raisons ne sont pas claires. Ils devraient plutôt nous craindre, a affirmé notre Général, car nous détenons la majorité de leurs hommes.

« On dirait que ce qu'il raconte ne t'intéresse pas... »

— Cela dit, ils persistent.

« ... mon ange... »

— La possibilité d'une attaque reste élevée. Il suffirait d'un courant aérien favorable pour que Vendomeland leur soit à portée d'ailes.

« Oh, pardon, on dirait bien que tu l'écoutes. »

La voix monotone marqua une pause, fidèle à sa sérénité habituelle. Un nouveau bruissement, plus léger, lui parvint à travers les voiles fins. La position n'était pas confortable, pour quelqu'un de son âge. Mais avait-il le choix ?

« Tu dois te douter de ce qui l'amène réellement ici. »

— Le danger...

Temporiser lui servait sans nul doute à choisir ses mots.

— Le danger qui court toujours sur la Grande Détentrice nous a contraint à considérer l'inenvisageable.

« Il ne sait pas... »

Après consultation des plus hautes instances des Serviteurs, de Sa Majesté, la Reine Lilifan...

« A ce propos, mon ange, je me demandais... »

— ... du Général...

« ... Non. Après tout, cela ne me regarde pas. »

Il se tut à nouveau. 

Une seconde.

— Son humble Serviteur a accédé à l'idée que le Sagevert pourrait user du pouvoir de la Grande Détentrice, lorsque son inestimable sécurité le demandera.

« Mais cet homme va continuer. Il va continuer. »

— Nous avons pris cette décision dans la discrétion, afin de préserver la santé et l'attention de notre aimée et toute-puissante Angevert.

« Il va continuer à te faire enlever ce don qui ne lui appartient pas. »

— A ce titre, il conviendrait de continuer les extractions.

« Sur lequel il n'a aucun droit, à part celui de s'abaisser devant lui, comme il le fait. »

— De les continuer, mais aussi, de les amplifier.

« ... Quel est ce vide que je ressens ? »

— Et d'en prévoir davantage.

« ... Mon ange, c'est vrai... »

Il s'interrompit à nouveau.

— Tout cela, nous l'avons pensé comme nécessaire à la sécurité de notre Grande Détentrice. Pour son éternelle tranquillité. Pour la perpétuation de son Ère de bienfaits et de générosités.

« Au fond de toi, tu n'as qu'un espoir. »

— Notre Grande Détentrice nous apporte tant de bien. Cette Ère ne pouvait espérer Angevert plus attentif à la parole de ses Serviteurs. Notre Grande Détentrice est dans le bon, et par ses justes actes, elle guide notre monde dans le bon.

« Tu pries pour que ta souffrance s'abrège. Pour que la mort t'emporte enfin. »

— Les Hautes-Terres souhaitent poursuivre leur destinée de paix et de prospérité. Tous Serviteurs de la toute-puissance, nous implorons la Grande Détentrice d'entendre nos doléances.

« Ai-je raison ? »

Les précieux colliers s'entrechoquèrent à nouveau, myriade de fracas cristallins autour de l'homme à terre, qui avait relevé la tête. Comme dans un souffle, sa voix sombre se fit plus proche, plus intime, jusqu'à sembler se mêler aux échos de cet autre interlocuteur, invisible.

— Noble Sauveuse... Votre humble Serviteur vous en prie. Acceptez de défendre les Hautes-Terres de vos ancêtres.

Il avait terminé.

Attendre.

Laisser la distance s'installer. Dans cet instant solennel et sacré, continuer à jouer la réflexion miséricordieuse, alors que sa réponse ne faisait aucun mystère.

Ce fut pourquoi le pincement de son cœur la surprit, lorsqu'elle prononça :

— Oui.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant