Jamais je n'avais fait une nuit aussi courte. De mon plein grès, du moins. Le soleil avait au moins une heure devant lui pour se lever, quand je m'étais extirpée de la porte trop basse de la maison.
Le bain de minuit, j'en avais entendu parler à la télévision. Mais, bizarrement, je pensais qu'il s'agissait de quelque chose d'agréable. Parce qu'à tenter de laver des cheveux transformés en miel cristallisé, des blessures invisibles qui mordaient dans le noir, le tout avec pour seule envie d'hiberner jusqu'à la saison prochaine, le moins que je pusse dire, c'était que je n'avais pas apprécié l'expérience. Ce matin, en sortant de chez moi, j'avais eu froid. Ma seconde peau de crasse m'avait manqué. Le vent avait agité mes cheveux trop légers, qui m'avaient chatouillée au centuple de ce que je ressentais habituellement. Mais impossible de mettre la main une lanière pour les attacher. Galliem n'avait clairement pas déserté la maison durant mon absence, elle était sens dessus-dessous.
Et ç'avait été grâce à cette tête de linotte, que je m'étais mise en route pour les remparts. Le ciel d'un bleu sombre s'azurait alors doucement vers l'est, encore parsemé de quelques étoiles scintillantes. Je ne savais pas pourquoi, j'avais pensé le trouver à cet endroit, où il détestait mettre les plumes auparavant : le chemin de ronde des Archers.
« Il va arrêter de glousser, oui ? »
Autant dire que je ne m'étais pas trompée.
Assis côte à côte, plus serrés que s'ils projetaient de fusionner, Galliem et sa bonne amie profitaient des derniers instants de la voute céleste. Leurs pieds battaient le vide, leurs ailes frétillaient dans leurs dos. Les observer une première minute m'avait désagréablement rappelé Trimidis, mais l'autre oiseau m'avait vite changé les idées. On aurait dit une pintade. Ou une poule. Un de ces gallinacés à la tête aussi grosse qu'un caillou, qui ne faisaient que caqueter en fixant bêtement leur interlocuteur.
Pourtant, mon frère n'avait clairement pas l'air de quelqu'un qui voulait être pris pour une poule. Plumes brossées, cheveux arrangés, son parfum à l'eau de rose affluait jusqu'en bas des escaliers blancs, d'où je les observais derrière les marches. Lorsqu'il soulevait une main à ses côtés, les ombres de ses bracelets s'étiraient sur le sol dallé. Lorsqu'il se tournait, la broche biscornue sur sa chemise m'éblouissait de laideur. La donzelle, arrimée à son bras, lui caressait le visage de ses doigts dix fois trop longs. Le nez, les joues, les oreilles. L'anneau d'or sur l'hélix. Et il gloussait. Encore.
« Elle reste beaucoup sur l'anneau. »
Agité comme une puce, Galliem ne s'en offusquait pas. Les ongles ras de l'Archère longeaient la courbure de son symbole de noblesse. A toute évidence, cela avait l'air plaisant, pour l'une autant que pour l'autre. Ou peut-être plus pour l'une, tout compte fait. Je ne savais pas si c'était le soleil qui s'approchait, ou un sursaut des étoiles, mais ses grands yeux cobalt m'avaient l'air bien trop pétillants pour la simple présence d'un poulet.
Qui, malgré tout ses efforts, devait bien en être pris pour un, un poulet.
— Hé, Lyruan !
Ma nuque se hérissa.
— Hé, hé !
En vitesse, je m'éloignai des marches. Cheveux humides sur le visage, je me donnai l'air d'une promeneuse matinale. Pleh accourait, en civil, un peu plus propre que la veille, et suivi de loin par un soldat-sentinelle. Le pas faussement tranquille, je m'approchai, fit un signe à mon collègue en uniforme pour qu'il nous laisse.
VOUS LISEZ
L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...