Chapitre 11 - La rose, le monocle et le timide

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— En fait, on n'a pas vraiment le choix. Si on veut le retrouver dans le calme, il va falloir se la jouer fine.

Le Colonel avait les yeux fermés depuis un moment. Avachi dans son siège, bras croisés, il lâchait parfois un petit grognement qui se perdait dans sa barbe.

Pleh était rivé sur la carte.

— On va les infiltrer, souffla-t-il sans me regarder.

Il replanta son doigt sur la fosse.

— ...Parce que même s'il n'y est plus, les gens de là-bas l'auront forcément vu passer. Forcément.

Pour la première fois depuis que je le connaissais, sa voix n'avait pas le moindre soupçon d'hésitation. La fosse, chaque personne, soldat, civil, chaque passage de la troisième strate, tout semblait plus clair que de l'eau de roche pour lui, simplement grâce à ce papier. Le Colonel se fondit un peu plus dans le dossier. Je ne me détournai pas de Pleh ; il était méconnaissable.

Sans avoir l'air de porter un quelconque jugement, je soufflai :

— Tu ne penses pas aux autres ?

Il leva son long nez du plan un instant. Puis il rebaissa la tête, l'air gêné.

— Tu te lances dans tout ça pour le trouver lui ? continuai-je en me penchant. Pour aider Fen ?

Le Colonel marmonna une phrase incompréhensible. Mon collègue ne me regardait toujours pas, il posa une main plate sur la carte.

— Je ne supporte pas d'avoir une dette envers ce fils-de-noble, avoua-t-il à mi-voix.

Dans sa bouche, ces mots sonnaient comme la pire des insultes.

— Les autres seront sûrement avec lui. On le retrouvera et on sera quittes, trancha-t-il, en replongeant sitôt après dans son observation.

Ses ongles sales suivaient des routes que les dessins ne montraient pas. Ils convergèrent vers la fosse d'une dizaine de manières différentes. Je le voyais réfléchir, longuement, appuyé sur les remparts qui jouxtaient l'endroit.

La nuit s'éclaircissait par la fenêtre, derrière notre supérieur endormi.

— La plupart se méfie tellement de l'armée..., reprit Pleh pour lui, pensif.

Le siège émit un ronflement. Toujours concentrée, je surpris une goutte de sueur perler le long de la tempe de mon collègue.

— Il faudra qu'on soit irréprochables, lâcha-t-il en se reculant du plan.

Un rayon perça au-dehors.

— Parfaitement irréprochables...

*

*             *

Huit... Non, neuf. Dix. Onze.

De plus en plus de gens se massaient autour de nous. Cet attroupement aux accoutrements hasardeux me rappelait de mauvais souvenirs. Toutes ces silhouettes, sombres, sales, si proches, me donnaient envie de dégainer une arme que je n'avais pas. 

Je voulais dissuader. Montrer qu'ils commettaient une erreur, que je n'étais pas du genre impressionnable. Qu'au contraire, ils feraient mieux de se méfier avec leur attitude inhospitalière. Mais je n'avais pas le droit. Pas d'étalage de force, du moins, pas avant de recevoir le premier coup. Il fallait conserver un air innocent et serein. Observer leurs réactions, et négocier, pacifiquement. C'était trop difficile. Alors que je comptais au moins trois rangées de têtes de tous côtés, je choisis la facilité. Je me renfermai. Je ne fis plus aucun effort, et attendis. Simplement. Et les mains vibrantes, cachées dans les plis de la robe.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant