Chapitre 40 - Homme, monstre, Roi

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L'intendant montait les escaliers presque en courant. Les restes de cierges projetaient leur cire sur les murs, les marches, puis sur les longues dalles de marbre, quand il se précipita dans une première galerie. Ses tresses tintaient à tout-va, sa cape bruissait sous ses pas rapides. Il se dépêchait, et le prénom Rama sur les lèvres, je me disais que ma question pourrait bien attendre de savoir ce qui le pressait autant.

Un bon pressentiment me disait que cela aurait peut-être à voir avec ces cheveux blancs que j'avais vus valser sur la passerelle.

Aussi bien qu'il était descendu, cette fois, Krishna remontait. Toujours plus haut, ralentissant à peine. Bougies éteintes, je l'entendais s'essouffler dans les couloirs, reprendre de l'air après les passages raides, relever sans cesse la cape sur ses épaules. Pour retenir ma propre respiration, je savais ce qu'il endurait.

Mais au bout d'un moment, il cessa enfin de prendre les marches.

En même temps, il n'y en avait plus. La nouvelle galerie qu'il empruntait, courbée, était bien plus haute que les précédentes. Plus lumineuse, aussi. Les pas de l'intendant s'éloignèrent devant moi, il disparut entre deux colonnes de jade. 

Un pied tremblant après l'autre, je suivis ses traces. Jamais mon épée ne m'avait parue aussi lourde, sa pointe pendait comme la branche morte d'un pied de fraise. En expirant le plus discrètement possible, je penchai la tête derrière la colonne de Krishna. Une avancée de marbre plus large qu'un escadron menait à deux étranges portes, aussi hautes qu'une paire de Narayans.

« Il est allé par là ? »

Aucun doute possible, mais j'aurais préféré m'en assurer. Les deux grandes portes ouvraient leurs quatre battants l'une à la suite de l'autre. La première étalait ses dorures contre les colonnes de la galerie, quand l'autre, non moins décorée, s'abandonnait aux pieds de grandes structures de pierre nue, dans ce qui me semblait être une cour intérieure.

Quel curieux décalage. Les portes dégoulinaient tant d'arabesques d'or qu'on peinait à deviner le bois noble en-dessous. Avec un tel souci du détail, on aurait pu s'attendre à ce qu'elles conduisent à un nouveau monde, tout d'or et de magnificence, ou à la somptueuse salle d'un trésor inestimable. A la place, j'eus beau tordre le regard dans toutes les directions, il n'y avait que de la pierre, des flammes et des ombres, qui dansaient derrière des colonnades dont je ne voyais pas le sommet.

Une vague d'échos résonna, et je me dissimulai de nouveau, oreille tendue. Les voix ressemblaient à s'y méprendre à celles de la caverne de la machine, en plus compréhensibles. On voulait évacuer l'or. Au-dessus de l'Extracteur. Tout l'or. Mes envies étaient contradictoires, abandonner ou essayer ? La lame sembla décider pour moi, en se relevant d'elle-même. J'avançai un pas, avec l'impression de m'engager sur une frontière qui n'était pas à franchir.

Je passai la première porte. Puis la deuxième. Un pied après l'autre, je progressai entre des colonnes plus hautes que la tour du Sagevert, le long d'une coursive circulaire. A peine le pied mis sur une passerelle, je me sentis écrasée par les statues grisâtres qui se dégageaient entre les colonnades. Leurs visages, couverts de sabliers noirs, semblaient vouloir frôler les cieux, mais s'arrêtaient à la naissance d'un immense dôme de pierre. Un pont de marbre vert menait sous ce ciel étrange, pour rejoindre d'autres passerelles, qui s'étiraient depuis le centre comme les rayons d'un soleil. 

Visage aux quatre vent, je décidai au hasard d'un itinéraire, avant de retourner observer le plafond voûté. Les décors sculptés du sommet donnaient autant le vertige que de contempler les étoiles.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant