« Quelle belle vie, quand même. »
Dormir, se réveiller, dormir. Dans plus de richesses que tous ceux du Cœur Noir n'en verraient jamais.
Je croisai les jambes dans le fauteuil pour la centième fois. Faute d'avoir osé le poser ailleurs, le livre des guignols-religieux traînait encore sur mes genouillères. Il m'encombrait. Je voulais le rendre. Ou le donner à quelqu'un d'autre, à un châtelain, au Général, à n'importe qui en voudrait. Mais ce n'était certainement pas dans cette pièce que j'y parviendrais. La personne qui roupillait, là-bas, ne devait pas avoir besoin d'un tel bouquin.
Je changeai de position. L'assise était confortable, mais rien à faire, je ne m'y sentais pas bien.
Peut-être avait-ce à voir avec ce qui m'était arrivé, depuis ce matin. Mon retour dans ce château imprenable. Cette rencontre, muée en expulsion, puis ce qui avait suivi. Rien que d'y penser, j'en avais des migraines.
Après le départ de Galliem, je m'étais rendue près des portes. Je voulais refiler cette « Parole » à l'un des heaumes, puis déguerpir. Mais rien ne s'était passé comme prévu. Les grands battants s'étaient rouverts, j'avais presque été jetée à l'intérieur. Au final, la seule parole que j'avais pu donner, ç'avait été la mienne. Toute la Garde de l'entrée m'avait fait jurer de bien me comporter, de rester discrète, de ne froisser personne. Sur le moment, je ne m'étais pas inquiétée. Les mains comprimées sur le livre, c'étaient plutôt les pages, que j'avais dû froisser.
Mes yeux repassèrent sur ce monstre. Je ne savais pas si j'avais réellement aggravé son état. Epais comme plusieurs bougies, sombre, sculpté de je ne sais quelle manière austère, brodé de vieux fils vert et or rongés par l'humidité, il lui aurait fallu quelques centaines d'années de moins, pour qu'on remarque la moindre éraflure. Je reniflai, en le poussant du bout des ongles. Peu importe ce qu'il renfermait, j'en avais la certitude, ce n'était pas formidable.
Mal assise, je montai les talons sur le fauteuil. Mauvaise idée, le livre me faisait face à présent. Je fuis sa couverture du regard, sans risquer de fixer le lit à la place. Ce château n'avait jamais fait beaucoup d'efforts pour me mettre à l'aise, mais là, on atteignait des sommets. Ne pas regarder telle chose. Me trimballer telle autre. Dans ma situation, j'en oublierais presque ce que l'Angevert m'avait dit. Que les religieux pourraient détruire ma vie, s'ils apprenaient pour le pouvoir. Ces mêmes religieux, qui devaient s'arracher les cheveux à me savoir ici... Je repensai au chauve de tout à l'heure. Je souris sans le vouloir.
Puis je me rappelai du Général. Je l'avais presque oublié, lui qui me prenait pour la traitresse, et attendait que je commette un faux-pas. Je savais qu'il ne m'avait pas placée là simplement pour me surveiller. Il devait penser que je serais vite tentée, si proche de l'Angevert. En chantant que j'assurerais sa sécurité, sûrement avait-il dû avoir le dernier mot auprès des guignols sacrés.
Si seulement je pouvais lui dire ce que je savais. Que je n'étais pas ce « Rama ». Que ce traître existait depuis longtemps, mais que même par le passé, il s'agissait de quelqu'un d'autre que moi. Les liens se feraient vite si je me confessais. Mais je ne comprenais pas. Comment j'en étais arrivée à me renseigner auprès d'une certaine île. Pourquoi je l'avais fait. Narayan, ce nom ne sortait pas de nulle part non plus, c'était certain. Mais, bon sang, pourquoi ? Etait-ce ma mémoire que me jouait des tours ?
L'Angevert gémit dans son sommeil. Je bondis vers les baldaquins, cœur serré, mais le seul son de l'après-midi ne s'éternisa pas. La silhouette immobile redevint cet élément de décor parmi les autres. Je soupirai sur le livre sombre, les orteils comprimés contre le fauteuil.
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...