Chapitre 17 - Au centre de l'univers

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Je me retournai vers Valentesa.

Toujours ce regard. Fixe, intense, malgré la fatigue. Son sourire se perdait dans sa crinière, mais il se devinait. Elle s'était rapprochée, son torse se collait presque à mon bras. Et sa main, que faisait-elle ? Elle frottait ma peau, mais c'était comme si je ne la sentais pas. Comme si j'étais un métal incandescent, et qu'elle était un souffle de vent. Des tremblements me secouaient, incontrôlables. Mes ailes voulaient se déployer ; elles l'auraient fait, si je n'employais pas toutes les forces qui me restaient à les contenir.

La main de la rose atteignit mon autre épaule. Elle s'arrêta, sembla attendre quelque chose, car les rubis de ses yeux me transcendèrent encore davantage. Sans dire un mot, elle se rapprocha, commença à ramener sa main vers elle.

Cette fois-ci, je le sentis.

Je me crispais.

— Val, commençai-je.

Elle n'était pas dans son état normal. Concentrée sur sa main, ses yeux ne se relevèrent même pas. Pire, elle les ferma. La chanteuse s'endormait, la voir me foudroya d'un éclair de conscience.

— Je voulais te demander...

Je gagnai un instant de plus d'attention.

— T'inquiète pas, me sourit-elle. Je dirai rien à l'armée.

— Non, c'est pas ça.

Sa main avait repris ses mouvements. On aurait dit qu'elle y mettait du cœur, mais ses forces l'abandonnaient.

— Vous allez tomber les nobles ?

Elle n'entendait plus. Ou alors, elle n'arrivait plus à réfléchir.

— Les nobles, la relançai-je, plus ferme.

— Les nobles... ?

— Qu'est-ce que vous allez en faire ?

En d'autres circonstances, son expression m'aurait sans doute inquiétée.

— Ils ont tout ce qu'ils méritent, ces nobles, cracha-t-elle dans un sursaut de rancœur.

Je ravalai mes questions.

— Ils nous méprisent, gronda-t-elle. Et 'suffit qu'ils le veuillent pour que l'armée nous enlève des gens... La famille entière que la Prairie a fait disparaître, y'a des années... Un de leurs gosses d'abord. Puis tout le monde. On a retrouvé personne.

Aussi vite qu'elle s'était mise en colère, elle se radoucit.

— On se fiche de ce qui leur arrivera, conclut-elle dans un murmure, en faufilant ses doigts sous mon menton.

D'un geste sec, je lui saisis le poignet. Elle sursauta, le souffle coupé.

Jamais mon esprit n'avait été aussi contradictoire. Un instinct voulait que je garde cette femme à distance. Un autre voulait exactement l'inverse. Au milieu de la confusion, je me demandais aussi si je ne dormais pas déjà. Si finalement la fête, le Cœur Noir, tout cela n'était que le fruit de mon imagination un peu trop débridée, et que le comportement de Valentesa n'était qu'une folie de plus.

Nos deux bras tremblaient comme des feuilles. Mais je ne la lâchai que lorsque j'eus la certitude qu'elle ne recommencerait pas. Même dans le noir, les pépites de ses yeux brillaient toujours. Je ne les quittai pas. Je me répétai que je la surveillais, qu'elle ne ferait rien de plus. Rien de plus. Rien.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant