Chapitre 37 - La ville de pierre

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Voler n'avait jamais été un tel calvaire. Un calvaire de nuages, de vents.

De vide.

« Arrête d'y penser. »

Mes ailes frappaient l'air. Dégageaient la brume, fendaient le vent, encore, encore.

Encore.

« Ce n'est plus très loin. »

En réalité, je n'en savais rien. Je n'avais qu'une boussole avec moi. Que je n'osais pas regarder. La simple idée de pencher la tête me convulsait jusqu'au bout des plumes.

Les minutes s'écoulaient, par dizaines.

« C'est impossible... »

Perdue au milieu du ciel, je comprenais, enfin, ce qu'était une île « à portée d'ailes ». C'était une île que l'on pouvait atteindre, sans mourir d'épuisement avant.

« Ne t'en veux pas. »

Quel soulagement de voir que dans ce ciel, il y avait autre chose que des nuages. J'avais tendu le cou vers les ailes. Les plumes retournées par le vent se lissaient de vagues lumineuses, le vert crépitait sous le duvet, frétillait sur le blanc grisé. Elles se redressaient derrière mes épaules, emplies d'une fraîcheur nouvelle.

Je n'avais pas le choix.

« Exactement. »

Le pouvoir me sauverait une nouvelle fois, ou signerait ma perte.

Le vent emporta les idées noires.

Je continuai, volai, longtemps.

Longtemps.

Longtemps...


Le ciel bleu était gris.

Le jour naissant était sombre.

Le vent était glacial, la pression étouffante.

Il n'y avait plus ni haut, ni bas. Plus d'avant, ni d'arrière. Il n'y avait que le vide. Un désert de nuages, le rien, le néant. A un simple pas des pires cauchemars. 

Etait-cela, d'avoir osé partir ? D'avoir fui pour un ailleurs dont on ne savait rien, guidé par des espoirs futiles ? Le vent soufflait, battait les plumes, arrachait mes yeux en larmes. Depuis longtemps, il avait avalé les couvertures, dévorait la peau qu'il possédait, et même celle qu'il ne possédait pas. Il dévorait le corps entier.

J'étais le vent.

Il effaçait mes pensées, jetées dans les bourrasques. Elles annihilaient jusqu'au dernier des sentiment. Le courage. La détermination. Il n'y avait plus que ce souffle, immense et infini. Ce que j'étais disparaissait, encore une fois.

Je ne voyais rien. J'avais peur de tout.

Mes doigts givrés s'ankylosaient. J'étouffais de chaleur.

Mon âme semblait sur le point de s'échapper. Mon cœur battait plus fort que jamais.

Les losanges verts brillaient d'une force irréelle. Levés dans le brouillard, ils éclairaient la route, feux ardents flous, et pourtant, plus éclatants que deux soleils dans la nuit. Les étincelles se consumaient dans la tempête.

Un losange disparut, une main s'enfonça vers mon torse. Griffes gelées, mes doigts se refermèrent sur un petit objet rond, puis se déplièrent sous mes yeux. L'aiguille de la boussole tourna, tourna, pointa une direction. Laquelle, je ne savais pas. Où j'étais, je ne savais pas. Et le cadran bascula. Doucement, et si vite, il glissa de ma paume, comme une feuille morte balayée par la brise. La tâche sombre traça une ligne sous mes pieds, loin, plus loin, de plus en plus loin.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant