Chapitre 52 - Mémoires (partie III)

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La silhouette planait dans les fumées ascendantes. Je tordis le regard entre les ruines. Sa trajectoire ressemblait aux miennes, quand je tentais d'atteindre l'Intemporel sans me dévoiler à la ville. 

Un pressentiment me poussa contre la fissure. J'avais raison. Il suffit d'un peu d'attention, et d'un court rayon de soleil, pour confirmer que les plumes de ses ailes étaient aussi blanches que les miennes.

Pas de visage. Un masque, surmonté d'une capuche, donnait à cet inconnu l'air d'un simple Utopien de plus. Impossible de lui donner une morphologie, son épais habit avalait sa poitrine jusqu'au haut de ses jambes. 

A l'approche d'un balcon au-dessus de mon couloir, il leva les chausses. Ses ailes disparurent, puis lui tout entier. Il avait dû entrer dans une galerie.

Un sursaut m'anima. Je m'enfonçai dans le couloir, mes pieds gravirent les premières marches que je trouvai.

L'inconnu n'avait pas pris le temps de surveiller ses arrières. Il arrivait ici comme un prince, avec son masque et ses plumes blanches. Cœur tambourinant, main sur mon couteau, je me figeai contre la paroi de la cage d'escalier. La longue galerie où Krishna me guidait plus tôt s'ouvrait à mes côtés, des échos de pas à son bout.

— Tu as fait bon voyage ?

La voix de l'intendant résonnait, calme.

— Sa Majesté se languissait de te voir. Walkaerys est passée, il ne l'a pas gardée longtemps... Oui, tout se passe bien.

Oreille tendue, je penchai légèrement la tête hors de la cage. Au fond de la galerie, deux capes sombres s'éloignaient, côte à côte.

L'étranger dépassait Krishna d'une demi-tête. Son pas était régulier, son port de tête étrangement correct. Après quelques pas dans le silence, sa main gantée se leva. Ses doigts enchaînèrent de drôles de gestes.

— Dans ses quartiers, à ma connaissance, déclara Krishna.

Nouveaux gestes.

— Bien sûr. Sitôt que j'ai reçu ton message.

Un dernier rond de doigts de l'inconnu sembla satisfaire l'intendant. Son visage de profil se fendait d'un sourire, quand leurs silhouettes disparurent à l'angle.

J'attendis, penchée sur la galerie.

La tentation était terrible. L'hésitation aussi. Je ne savais pas comment ils réagiraient, s'ils apprenaient seulement que j'étais là, et que je l'avais vu, lui. Peu importe qu'il n'ait pas de visage, qu'il n'ait pas de voix. Qu'il se cache autant prouvait qui il était.

Leur stratège. Leur infiltré. Leur plus grand secret.

Un pas voulut avancer, il s'arrêta quand le souvenir de Narayan vint ajouter son grain de sable. Je serrai mon couteau de plus belle. Mais non, impossible, ils ne l'envisageraient pas. Je leur étais trop indispensable.

Puis ce grand arbre noir me rappela autre chose. Yeux sur mon arme, je tournai légèrement le poignet, jusqu'à ce que pointe la petite lueur verte qui brillait sous mes brassards. Une pile. Sur l'instant, ce pendentif me rassura. Ma tête se leva. J'inspirai, et glissai dans le couloir.

L'écho des pas me guida jusqu'à de grands escaliers de pierre. Sur la pointe des pieds, je longeai colonne sur colonne, tandis que les deux capes s'engageaient dans une nouvelle allée surplombée de voûtes.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant