Chapitre 13 - La créature de Terremeda (partie II)

121 18 0
                                    


— Suis-moi.

Une main assurée se referma sur mon poignet, pour m'entraîner au bas de la scène. Sans lâcher, Valentesa courut, vola de ses enjambées légères, jusqu'à contourner l'amas de machines sur lequel travaillaient Chef et trois autres. Le petit hirsute leva son monocle sali en nous observant passer. Il dut voir combien j'étais dépassée par les événements. Combien je ne savais tellement plus quelle attitude adopter, que je me laissais mollement malmener au bout du bras de la rose, hagarde, à la merci des remarques suspicieuses, mais sans que je ne puisse rien faire d'autre que de réfléchir à la situation.

Escalader le chemin de ronde me remit partiellement les idées en place. Faire appel aux muscles sur ordre de quelqu'un avait le don d'arrêter de faire réfléchir. Je hissai ma carcasse sur le mur reconstruit sans histoires, concentrée, et livide, sans doute. Mais mon accompagnatrice ne me regardait déjà plus : elle se penchait aux barreaux dorés de la galerie déserte, pour montrer le ciel du doigt.

— C'est là qu'était l'île.

Puis retournant dans les remparts, elle dirigea son doigt un peu plus loin dans la direction montante.

— La chaîne était attachée ici. Nous ne savions pas quoi faire du dernier maillon, donc il nous sert de scène pour les spectacles.

Elle me sourit, ce qui me mit mal-à-l'aise, car je n'avais aucune idée de ce que je pouvais répondre. Mais, soudain pensive, la rose m'oublia à nouveau, murmura quelque chose, avant de brutalement se repencher dans le vide, tête vers le sol. La regarder faire avec tant de décontraction suffit pour que mon cœur s'arrête.

— Oui ! s'exclama-t-elle avec joie.

Puis elle cria vers la fosse :

— On voit la créature !

Changer d'objet d'intérêt semblait une habitude chez elle, car je fus une nouvelle fois reléguée au second plan. Sautillante, elle fixait Chef, qui, délaissant même son travail, ramenait déjà à petits pas pressés une machine longiligne plus haute que lui. Kay accourait derrière, son éternelle canne à pêche bondissant dans son dos. Malgré leurs disputes régulières, il fit gracieusement la courte-échelle au petit homme, tandis que Valentesa le déchargeait de son fardeau à engrenages. Le drôle d'instrument se transforma en deux mouvements en une longue-vue étrange, une sorte de fin télescope, flanqué de plusieurs manivelles de cuivre, mais qu'ils dirigèrent non pas vers les étoiles, mais tout droit vers le sol.

Une hanche plus solide qu'il n'y paraissait repoussa Kay, qui se ruait déjà sur la lunette.

— Je l'ai vue la première, se justifia la rose, en collant son œil en haut du tube.

Les autres semblaient suspendus à ses lèvres. En retrait loin du bord, je finis par l'être aussi. Et quand un sourire les étira un instant plus tard, il transmit tellement de joie, qu'il sembla adoucir l'atmosphère tendue.

— Elle bouge toujours. C'est magnifique.

— Dégage, maintenant ! s'agita Kay.

— Attends !

Bras tendu, elle le maintenait loin. Mais elle leva finalement la tête de ce spectacle qui la fascinait pour revenir sur moi.

— M'wax, vient voir d'abord.

Quoi ?

« Non. »

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant