— NON, NON, NON ET NON, WALKAERYS !
La main du Colonel s'abattit sur son bureau.
— LES SOLDATS SOUS VOS ORDRES N'AURONT PAS D'ARMES LÉTALES !
— Mais je n'ai même pas encore ouvert la bouche, Colonel, tempérai-je en refermant la porte.
— L'innocence vous va TRÈS mal !
Cet accueil ne me donnait aucune envie de le saluer. Soupirant, je me postai face à lui, les bras croisés sur mon insigne flambant neuf.
— Ça va faire au moins la dixième fois en six jours, ronchonna mon supérieur. Vous pensez sincèrement que j'ai du temps à perdre avec vos caprices ?
— Des caprices utiles, Colonel, répliquai-je aussitôt. Ces bâtons sont une aberration. Franchement, on nous attaque pour nous tuer, et tout ce qu'on trouve pour riposter, ce sont ces manches pas plus lourds qu'un arc, qui servaient déjà quand vous faisiez vos classes !
Le militaire quarantenaire me regarda de travers.
— Sur Terremeda, les armées ont des armes, continuai-je. De vraies armes. Et elles sont autant offensives que dissuasives. Nous, nous n'avons rien de menaçant pour Utopie. Rien ! Ce foutu droit à la vie est pire qu'inutile, il est dangereux !
— Vous ne me ferez pas céder avec des attaques sur mon âge et des déclarations que personne ne pourra vérifier, rétorqua le Colonel en ramassant des papiers.
Ce vieux croulant était plus impassible qu'une statue du Temple.
— Colonel, explosai-je, j'apprends à mes hommes à se défendre, pas à se battre !
— Vendomeland ne s'abaissera pas à de la violence sans fondements.
— Parlez-vous au moins au Général de ce que je...
— BON, il suffit, major.
Je ravalai ma phrase.
— Retournez à vos entraînements, me congédia le Colonel d'un revers de la main. Et si vous tenez à votre épée, par toutes les plumes de l'armée, contenez-vous !
Impossible de placer quoi que ce soit après ça. Résignée, pour le moment, je serrai les pieds en silence, et quittai le bureau à grandes enjambées, sans un salut pour le lieutenant-colonel.
— Ce ne sont pas des caprices, maugréai-je dans ma barbe.
Pas après pas, j'écrasai mon ombre sur la pelouse, sous un éternel soleil de plomb. Cet énième refus m'énervait autant que les précédents. En marmonnant ce que j'aurais fait à la place du Colonel, j'imaginais son visage barbu entre les brins d'herbe, que je courbai sans aucun remord. Mais cela ne m'aidait pas à supporter ce sentiment d'impuissance, que je détestais.
Le vent soufflait fort, ce matin-là, ce qui était loin de me calmer. La grande cape rouge, flamme drapée aussi encombrante qu'agaçante, claquait dans mon dos, s'envolait, se retournait contre ma queue de cheval ébouriffée jusqu'à occulter le chemin vers mon groupe. Avec un juron étouffé, je lançai sèchement ma main vers les épaulettes, pour décrocher le tissu contrevenant. Evidemment, j'avais interdiction de le faire, mais aux regards qui se défilaient sur le lointain, je sentais que personne n'oserait faire la morale au major Walkaerys.
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...