Chapitre 18 - Conspirations

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Encore allongée, je sentis mes yeux s'agrandir.

J'attendis un instant. Cela semblait trop beau pour être vrai, je guettais donc le moindre indice, qui me prouverait que j'avais raté mon coup. Mais j'eus ma réponse. Bien plus vite que je ne l'aurais espéré. Il n'y avait, simplement, plus aucun bruit. Le silence froid, brutal, total, des plus hauts sommets du Cœur, au vide de l'extérieur des remparts.

Sans me presser, je relevai la tête. La couverture s'échappa de mes épaules ; je ne la rattrapai pas, c'était inutile, le vent s'était arrêté. De toutes façons, que j'aie froid ou pas, le paysage m'aurait fait tout oublier de la même manière. Enchanté ou horrifique, je n'arrivais pas à me décider. Les longs rayons, qui venaient s'écraser sur les endormis depuis le plafond, s'étaient transformés en vifs éclats d'un vert lumineux. A mes pieds, les dizaines, les centaines de bosses, toutes, scintillaient de lueurs douces et dansantes, en se confondant avec les éclats de la brume. Ce silence absolu, plus dérangeant encore que celui au milieu du spectacle, maintenait la salle dans l'irréel, dans une autre dimension, tandis que le monde, ailleurs, continuait de tourner.

Mais ce n'était pas trois éclats verts qui allaient me faire oublier mon nouvel objectif. En deux mouvements secs, je décollai au milieu du brouillard. Les ailes lumineuses battaient l'air si fort, que la fumée autour d'elles se dégageait en volutes, rapidement figées parmi les étincelles. Il était facile d'oublier dans cette strate, où j'étais condamnée à la discrétion, que je pouvais aussi m'envoler selon mon bon vouloir. Les mètres sombres s'allongeaient sous mes pieds. Les grands tuyaux étranges, qui coulaient sur la paroi derrière la scène, furent vite à ma portée. Une vanne rouillée derrière l'un deux devint mon perchoir.

La cachette ferait l'affaire. Dissimulée derrière le métal bombé, je ne pus m'empêcher de jeter un dernier coup d'œil vers le balcon, maintenant en contrebas. Le dos de l'homme que j'avais aperçu, avec ses fortes épaules, me rappela celui du musclé. De longues jambes, maigres et croisées, s'échouaient devant les siennes pliées, et dans le fond obscur, je discernai encore deux autres personnes, assises en tailleur. Mais quand bien même je ne risquais rien, j'arrêtai là mon observation. Juste à côté, le bas de la salle était suffisamment loin pour me mettre mal-à-l'aise.

Regard en l'air, et pieds en équilibre sur du fer rouillé, je n'épuisais pas la magie davantage.

— ... t'es quand même sacrément borné !

Le murmure résonna à peine le temps remis en route. Mais même en colère, je l'entendis à peine, tant elle chuchotait.

— C'est bien beau de croire en l'avenir, continuait une voix de femme. Mais ouvre les yeux ! Comment tu veux arriver à quoi que ce soit sans leur aide ?

— Elle a raison tu sais, Gio.

« Ce timbre éraillé... Kay ? » m'étonnai-je.

Qu'est-ce que ce déchargeur ronchon fichait ici à cette heure ?

— On veut tous la même chose. On veut la même chose que ceux d'en haut, on veut arrêter de trimer pour qu'ils nous crachent à la gueule.

— Je sais...

— ... Et regarde ce qu'il y a en face ! Non, il n'y a vraiment rien d'autre à faire, tu le sais en plus.

Certaines rafales étaient trop puissantes à l'extérieur. La phrase suivante de Kay fut avalée dans un reste de sifflement strident ; sur la pointe des pieds, je tentai de rapprocher mon oreille.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant