Chapitre 39 - Les chaînes du dôme

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Les mortels s'agitaient. En vain, comme toujours. L'un s'égosillait, quand l'autre chantait. Celui-ci frappait sans cesse, quand lui s'énervait. Ils étaient excités, rêveurs, insensés, inconscients. Mais même plongé au milieu des échos, ce Roi ne semblait pas atteint par leur démence.

En silence, il s'accouda.

Les marques de sa peau s'appuyèrent sur la pierre. Ces fissures noires, longues et fines, tranchaient son teint blême comme de profonds coups de lame.

En silence, il se pencha.

Les pendentifs tintaient. Les longues mèches blanches glissaient de la cape, de ses épaules, se laissaient emporter dans cet air lointain, venu du gouffre.

D'habitude, Meyram regardait vers le bas. D'habitude, il toisait de haut son rêve, son utopie, tel un dieu contemplerait le monde mortel. Mais cette fois, il ne le faisait pas. Pensif, statique, le Roi fixait cette longue chaîne ballante, qui tombait derrière les colonnes.

On l'aurait oubliée, cette chaîne. Tant de merveilles avaient occupé les mains avides, depuis que les rêveurs avaient franchi les doubles portes de l'Intemporel. Des années après, elles se plantaient encore sur tous les murs, pour déloger étoile après losange, perle après pépite. Non, personne ne s'intéressait à ce vieux serpent de métal. Les maillons dormaient sous la suie, la poussière, la crasse, si lourds, qu'un régiment n'aurait pas été de trop pour les déplacer.

En silence, il se tourna.

A l'opposé de la salle se tenait une autre chaîne, identique.

En silence, ses yeux glissèrent vers les doubles portes. 

Dans cette folie ambiante, lui n'était que silence, toujours silence. Bien sûr, le rêveur ne perdit pas son temps à lui décrire le fond de sa pensée. Sans même un regard, il se recula de la rambarde, avança sur la passerelle.

Ses hommes piaillaient, criaient, gesticulaient. Meyram continuait, comme si le dôme était aussi vide qu'à son habitude. Rares étaient les fois où ses pas l'éloignaient du trône, mais il ne semblait pas regretter. Sous le sommet de la salle, dans l'alignement des chaînes oubliées, au centre de torrents de mosaïques, d'arabesques de jade, d'émeraude et de verre, à mi-chemin entre le trône et le monde mortel, il y avait un losange d'or.

Le Roi s'arrêta. Il toisait le sol, et cette forme devenue blasphématoire sur son île. Cette ultime marque flamboyante d'un temple qui, autrefois, aurait vénéré un dieu. 

Des crépitements verts s'éclairèrent sous ses semelles. Futiles protestations, avertissements inutiles. Au centre de l'or, Meyram posa genou à terre.

Les mèches blanches s'effondrèrent en cascade. Le Roi n'en releva aucune. Sans doute pour la première fois, ses yeux marqués ne croisèrent pas son reflet. Comme si son âme avait été absorbée, il fixait la surface précieuse, qui glissait sous ses doigts.

Un éclair vert crépita contre sa peau. Sous les yeux de son lanceur, le trait de pouvoir fondit sur le métal, en direction du rebord. L'énergie sembla, un instant, hors de la soumission. Elle rebondit, vaporeuse, frétillante, comme si la liberté l'attendait une fois l'or traversé. L'éclair fit quelques ricochets, perdit chaque fois plus de sa vigueur. Après un dernier rebond désespéré, il disparut, bien avant d'atteindre les premières arabesques.

Le Roi se figea.

— Je sais que tu as quelque chose en tête.

Adresser un regard restait un privilège qu'il ne semblait plus disposé à lui donner.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant