Je ne tenais pas à faire un retour remarqué sur Vendomeland. C'était aussi pour ça que j'avais choisi cette destination particulière. Mais, à l'arrivée, ce fut soit trop facile, soit très effrayant. Peut-être les deux.
La folie au Cœur Noir était à son comble. Pourtant il n'y avait ni foule déjantée, ni chanteuse ensorcelante. Un court arrêt temporel, puis retirer le masque à temps sembla suffire à me fondre dans la masse. Des civils, des soldats, de Conseillers de tous les ordres rivés sur une paperasse qui leur tombait des mains, c'était un vrai carnaval.
Trois personnes me bousculèrent en même temps. Mains jetées au hasard, je tirai un foulard des épaules d'un jeune homme, pour l'entourer maladroitement sur mon armure utopienne. Les ordres fusaient dans la cohue pour nous faire évacuer. D'une façon où d'une autre, les civils semblaient bien moins inquiets que les soldats. L'armée voulaient qu'ils partent, mais personne ne semblait vouloir coopérer, surtout ces prisonniers, là-bas. Jambes ballantes aux anciens balcons du Cœur Noir, maintenant barricadés de tuyaux et de planches, ils fixaient les soldats comme des hallucinations tenaces, de la rancune dans le regard.
Les escadrons dégainaient leurs armes, figés sur l'ouverture des remparts.
Et derrière eux...
« Pleh ? »
Tunique blanche ceinturée au creux des hanches, son long cou à moitié rentré entre ses épaules, il alternait du regard entre un parchemin et les soldats, plus concentré que face à une assiette plaine. Même s'il habitait non loin, avec cette tenue, j'eus du mal à réaliser qu'il était là, dans cette fosse sale, de ce quartier sale, dans cette strate sale. Mes pieds craquèrent sur les planches inégales. J'avançai à grands pas entre les silhouettes, les armes, des bâtons, des arcs. Je haussai un sourcil. Il y avait bien plus de monde que je ne pensais.
J'arrivai sous l'épaule de Pleh. Son papier délaissé, il semblait à présent fixer l'ouverture des remparts, les rangs et les armes. Ma main se referma sur son poignet. Avant qu'il n'attire l'attention, je le tirai dans une galerie.
Ses grandes jambes se mirent en marche avec un temps de retard. Un cri de souris et des pas maladroit plus tard, nous étions dans l'ombre, loin des soldats.
— Je n'ai rien de valeur, s'empressa de bafouiller le Conseiller.
— Pleh, c'est moi.
Sa bouche ouverte se tordit en une drôle de grimace.
— Lyruan ?
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Pourquoi autant de soldats ?
— Lyruan, attends...
— Utopie arrive, Pleh.
Ses yeux s'écarquillèrent. Je les vis plonger sur le masque, lacé à mon bras, à moitié dissimulé par le foulard.
Ce serait du temps perdu que de lui expliquer.
— Peu importe, lâchai-je. J'ai besoin de trouver leur traître. Tu tombes à pic, il faut que tu m'aides !
— Lyruan...
J'avais eu le temps d'y penser en volant. Rien à faire qu'ils veuillent m'éliminer de nouveau, rien à faire qu'ils lancent Narayan, leur armée contre moi. S'ils gardaient l'identité de ce traître secrète à tout prix, c'était sûrement car quelque chose me dérangerait.
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...