Chapitre 54 - La Reine et le Roi

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Le vent sifflait entre les dorures des portes. Il portait des chants qui venaient exploser sous le dôme, comme l'aurait fait le ressac de la mer.

Le vent sifflait, et il faisait voler les lambeaux de chemise contre mes jambes. Ils s'effilaient, le blanc sale s'éclairait de vert contre mes yeux, s'effondrait en cascades lamentables. Puis tout recommençait. Drôle de façon d'observer que le temps s'écoulait, contre cette porte, à mi-chemin entre un monde d'éternel et un monde de guerre.

Les sentiments ne m'empêchaient plus de réfléchir, je devais en profiter.

Le pouvoir n'en avait fait qu'à sa tête. Mais il avait laissé mes larmes couler et mon esprit se remettre à l'endroit. 

A présent, il y avait deux choses dont j'étais certaine. 

J'avais retrouvé la mémoire. Entièrement, sans le moindre flou. 

Et manifestement, des informations manquaient à l'appel.

Manifestement, il y avait des choses qu'on ne m'avait pas dites.

Les larmes s'étalèrent sur mon visage quand je le levai contre mes bras croisés. Les arabesques vertes avaient disparu, mais je sentais que mes yeux brillaient toujours. S'éteindraient-ils un jour ? Une paume de main passa devant moi, sans losange. Arabesques, losanges, lumières, explosions. Les souvenirs se bousculaient, tandis que je dévisageais cette peau neuve, un sentiment amer en travers de la gorge.

Et cette chaîne d'or, qui brillait là-bas, sur la passerelle. Elle serpentait jusqu'au trône, où la blancheur de cheveux décoiffés peinait à se deviner. Angelina se reposait, hors de la douleur, pour longtemps.

Mes poings se serrèrent.

En la regardant allongée sur cette grande assise, j'aurais pu douter. La tromperie semblait continuer. Dents grinçantes, je détournai le regard. Ce n'était pas contre elle. Ce trône, cette salle, ils commençaient à me mettre mal à l'aise.

Je me levai, marchai en direction d'un nouvel air.

Les portes de ce château ouvraient sur des escaliers pour la ville noire. L'Intemporel, je me rappelais de son nom, maintenant. Bâtisse de tous les dieux. Œuvre du temps lui-même, infinie, éternelle. Utopie entière semblait lui tourner le dos, rivée sur cette ombre immense, qui se devinait dans la brume. Un grand nuage cerclé de remparts.

Là, je sentis la colère poindre.

Comme si les bourrasques chassaient les larmes, les regrets, l'hésitation. Il était là-bas. Son oncle, son tortionnaire, son assassin. Celui qui se croyait plus fort que les dieux. Celui qui avait déclenché des années de conflit, qui mettait des vies en danger, celles de Fen, de Pleh, de Galliem. Celui qui avait tué Papa. Par tous les cieux, celui, celui qui avait fait hurler Angelina jusqu'à l'inconscience. 

Mes ailes se déployèrent. Deux pas vifs et je décollai au-dessus des marches.

Les plumes droites battaient les nuages. Le vent ne me faisait plus peur, le vide au loin, peut-être toujours un peu. Plusieurs constructions se hissaient dans le ciel avant d'y parvenir ; je vis des mains sales me tendre de l'équipement.

Je pensai à Galliem au moment de prendre le masque. Tenter d'épargner la vérité serait mieux que de ne rien faire. Je pensai à Meyram au moment de refuser l'épée. Mon âme de major hurlait à l'hérésie, mais j'avais dans l'idée que plus jamais je n'aurais besoin de tenir une arme.

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant