Chapitre 10 - Ceux qui attendent

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Les rues ressemblaient toutes à l'idée que j'avais pu me faire de la troisième strate.

Etranges, inégales, construites de tout et de rien, bordées de murs en patchwork de matériaux colorés, parfois recouverts d'un souvenir de crépis blanc. Dans la foule chahutant, les ailes déployées se comptaient sur les doigts d'une main. Des plumes grisâtres trainaient sur le sol, derrière les vieilles carcasses qui clopinaient de rencontres en rencontres. Lorsque l'aile perdait une plume, deux ou trois gamins surgissaient, se jetaient sur ce don que j'aurais pensé moins précieux, avant de disparaître dans un autre passage tout aussi étrange. Il faisait sombre comme en soirée. Mais pas une soirée de Prairie, ambrée, dorée, étincelante jusqu'à ce que les étoiles prennent le relai. Le centre du nuage semblait vivre dans la pénombre à toute heure. Cela ne semblait pas altérer des habitudes des habitants. Les voix qui criaient ne se plaignaient pas de ce « temps » maussade. Les conversations autour de nous n'évoquaient pas cette incongruité ambiante dans laquelle ils vivaient. A la place, les cris fous affirmaient à qui voulait l'entendre que l'Angevert n'existait pas. Quand nous nous approchions d'une discussion, celle-ci s'arrêtait aussitôt.

Je découvrais une strate méfiante. Une strate qui avait sûrement autant à cacher qu'elle ne le laissait paraître.

Pleh s'enfonça toujours plus loin dans les ruelles et les galeries. Nous montions, descendions, semblions parfois faire demi-tour. J'aurais eu l'occasion de me perdre cent fois, avant qu'il ne s'arrête au milieu d'une allée noire, face à une porte à moitié dégondée, d'un mur écaillé sans fenêtres.

— Bienvenue ! me sourit-il, je le sus car ses dents étaient peut-être ce que je voyais le plus de son visage.

Dans un geste qui sentait l'habitude, mon collègue plaqua une main entre la porte et l'embrasure, la faufila vers l'intérieur, pour la faire remonter. Il y eut un bruit de loquet détaché puis, se penchant dans l'interstice, il poussa doucement la porte en avant.

Un grognement inintelligible résonna quelque part au fond de la pièce. A peine le battant ouvert, Pleh se jeta à toutes jambes dans le noir.

— M'man, la bouteille ! s'écria-t-il.

Il y eut un bruit de bris de verre qu'on remuait. A tâtons, j'entrai dans la maison à mon tour, sans quitter le mur. On aurait pu se croire en pleine nuit, mais à force d'essayer, je finis par repérer Pleh, accroupi sur le sol, à côté d'une main ballante.

— Les éclats sont tellement plus dur à échanger ! se plaignit-il vers les doigts mous. A quoi tu joues ?

Une exclamation grave et éraillée lui répondit depuis la planche basse où la personne était allongée. Elle fut suivie d'un autre son, un son plus aigu, un son animal, comme un croassement de corbeau maché et doux. Délaissant immédiatement son verre, Pleh se jeta sur le côté, se saisit d'une chose rampante, qu'il me tendit dans la foulée.

— Garde-la deux secondes, je dois nettoyer, sinon elle va se blesser.

La chose bougeait entre mes mains.

— Pleh, qu'est-ce que...

Un nouveau gazouillis sorti de la bouche de cet animal, dont les petites pattes serraient déjà mes poignets.

Une décharge me hérissa le poil.

— PLEH ! hurlai-je.

— Quoi... ?

L'Angevert - Partie IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant