Si seulement ils avaient accepté qu'elle reste.
Mais il était des épreuves, qu'une déesse se devait d'affronter seule.
Une déesse...
— ... Nous savons que l'état de santé de notre Grande Détentrice est au plus mal. Mais ses divins ancêtres la protègent. A jamais, l'Ère de notre Angevert se poursuivra.
Parfois, le danger venait de là où on ne pouvait l'attendre.
Il fallait qu'elle parte.
Il fallait qu'elle s'éloigne.
— ... Notre Grande Détentrice est si généreuse. Si attentionnée, si soucieuse du bien-être de ses humbles Serviteurs et des mortels.
Pourquoi avait-il accepté ?
« C'est lui-même qui l'a ordonné. »
Savait-il... ?
« Ou l'aurait-il deviné ? »
Le savait-il ?
— Les rites du sanctuaire approchent. Les événements de la matinée nous font estimer qu'ils ne doivent en aucun cas être repoussés. Une nouvelle fois, Noble Sauveuse, votre quiétude vous sera rendue. Votre humble Serviteur sait combien elle vous est précieuse.
Il avait compris que la mort la guettait. Ce pouvoir ne pourrait rien pour la sauver.
— Notre Grande Détentrice veuille-t-elle pardonner mon impertinence.
De nombreuses fois, la Reine s'était présentée ici. Elle avait multiplié ses accords. Elle continuait, ailleurs. Mais elle, oubliée dans cette pièce, elle ne savait plus si elle souhaitait rester dans l'ignorance. Un fait, tel que celui qu'elle espérait, pourrait s'avérer si libérateur. Ou si effrayant.
« Ce n'est qu'une question de temps. »
Oui. Au grand malheur de ce monde, ce n'était qu'une question de temps.
— Notre Grande Détentrice prendra le repos qu'elle mérite. Son rétablissement sera notre joie, car sa vie est notre raison d'être.
Et son cours s'accélérait. A chaque mot du Serviteur, plusieurs grains tombaient dans le sablier. La Reine. Le Général. Ce royaume avait ses secrets, salvateurs, légitimes, mais il en était d'autres. Elle le sentait comme les encens annoncent les prières, et les corbeaux appellent les batailles.
— Les extractions reprendront aujourd'hui, tomba la voix grave.
— Je veux parler à Veban.
Jusqu'alors plongés au sol, les yeux du Serviteur rencontrèrent les siens.
Avait-il le droit ?
« Il ne l'a pas. »
Pas plus qu'il n'aurait eu le droit de refuser. Pas plus qu'il n'avait eu le droit de contourner certaines de ses demandes, d'avouer à regret qu'il serait préférable d'attendre, avant de retrouver des libertés. Mais les colliers tintèrent, les drapés se froissèrent. Le Serviteur se relevait de terre, il quittait la pièce.
Il n'aurait pas à aller loin. Elle avait senti cette énergie forte, qui attendait derrière la porte. Les voix se mirent à discuter, bas. Très bas. Le Serviteur refusait. Lui, insistait. Alors qu'avant, il s'y était toujours opposé.
Oui, il y avait des secrets.
Assurément.
— Votre Altesse.
Elle n'avait jamais souhaité les connaître.
Jusqu'à cet instant.
— Veban.
Un regard prudent balaya la coursive, la grande statue. Puis une large cape frôla l'embrasure, le Général ferma la porte, vint s'agenouiller près d'elle.
— Votre Altesse, murmura-t-il. Vous avez l'air fatiguée. Reposez-vous.
Les doigts décharnés ignorèrent ses conseils et cherchèrent le rebord du lit. Dès qu'ils la trouvèrent, ils se lovèrent contre la main du Général. Sa peau était chaude, rassurante.
L'Angevert ferma les yeux.
Elle devait rester forte. Mais il suffisait qu'elle pense à elle, pour ne plus se résigner à l'ignorance.
— Veban, vont-ils me tuer ?
La respiration du militaire s'interrompit.
— Pensent-ils que le nouvel Angevert... leur offrira plus de chances ? Que n'importe quelle autre Ère... sera préférable... à la mienne ?
Les doigts chauds du Général serrèrent les siens.
— Je comprends, murmura-t-il. Vous savez que la période est difficile. Je vous le confie, les intentions d'Utopie nous inquiètent. Ils nous suivent de près. Leur île pourrait devenir visible par Vois-Loin d'ici quelques semaines, ou quelques jours.
« Quelle volonté. »
— Ils doivent attendre le bon moment. Il doit leur manquer quelque chose. Nous sommes dans l'incertitude, et cela préoccupe autant vos Serviteurs que notre armée.
« Quelle conviction. »
— Mais, Votre Altesse, quelle que soit cette incertitude, il ne sera jamais question de vous faire du mal.
Ses paupières s'entrouvrirent. Une lumière de jade se refléta dans le regard du Général, ancré au fond du sien.
— Vous êtes la bienfaitrice de Vendomeland. Votre pouvoir est un don qui rendra notre monde meilleur. Le Sagevert vous remplacera, comme l'ont suggéré les Serviteurs, le temps que vous guérissiez. Soyez tranquille.
Il ne détournait pas les yeux.
Mais pourquoi ?
Pourquoi avoir proposé qu'elle revienne, si ce n'était pour lui procurer une once de joie avant la fin ?
— ... J'ai davantage foi en vous qu'en ces prêtres, confia-t-elle dans un souffle.
— Une déesse ne devrait pas me faire cet honneur.
Le sourire du militaire aurait rassuré un mortel à l'agonie. Devant le silence de sa déesse, il abaissa la tête. Longtemps. Quand il se releva, elle n'était plus assez consciente pour le voir.
Aux espoirs se mêlaient les cauchemars. Les angoisses dansaient avec les utopies, les rêves absurdes. Elle voyait la fenêtre, là où elle s'était tenue, là où l'on pouvait observer au loin la petite maison des Walkaerys. Son cœur battait dans le silence. Cachée au milieu du noir, une larme coula parmi les drapés de soie.
« Pourtant, c'est tout ce que tu souhaites. »
Mais la mort signifiait ne plus la voir.
« D'autres choisiront pour toi. »
C'était vrai. Bien qu'elle le veuille, la vérité ne serait jamais sienne. Sa main frêle se comprima sur les broderies. Illuminant les coussins sombres, une lueur véloce les embrasa, prête à les consumer.
— Je n'ai jamais voulu être Angevert.
Et cette voix de lui répondre :
« Personne ne l'aurait voulu. »
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L'Angevert - Partie II
Paranormal[Ce résumé contient des spoils sur la Partie I] Utopie n'est plus à portée d'ailes, pourtant Lyruan n'a jamais été aussi troublée. Promue major de l'Armée Blanche, la jeune gradée forme ses soldats sans relâche, la magie de l'Angevert coincée dans...